L'antivirus

Jean-Philippe Joly. 45 ans. Né prématurément, guéri de l’hépatite C après avoir porté le virus pendant 37 ans, cet ingénieur poitevin mène aujourd’hui une lutte acharnée contre le cancer du sein de son épouse. A fait de l’optimisme et de la bonté ses principales armes.

Marc-Antoine Lainé

Le7.info

Dehors, la pluie tombe à pleines gouttes. Dedans, l’ambiance est tout aussi maussade. Chemisette à carreaux sur le dos, Jean-Philippe Joly déguste un thé à la menthe, assis seul à une table basse. Il arbore un large sourire, qui contraste avec l’austérité des lieux. Ici, au cœur du Pôle régional de cancérologie de Poitiers, le quadragénaire s’apprête à ouvrir le livre de sa vie, dans le temps imparti que lui « offre » la chimiothérapie de son épouse Lise-Marie.

Le parcours de ce Poitevin n’a jamais fait la Une des quotidiens. Anonyme parmi les anonymes de son propre aveu, Jean-Philippe Joly est « né prématurément en 1971 à Dijon ». « Exsanguino-transfusé deux fois dès la naissance, puis transfusé à plusieurs reprises. » Le fils de coopérants agricoles a grandi à Madagascar, où sa famille s’est expatriée. « J’ai appris à marcher dans le sable. » Ses premières années ont été rythmées par des complications médicales. Sur la Grande Île, « papa et maman » se sont mués plusieurs fois en aventurier pour conduire le bambin à l’hôpital. Les grands-parents, restés en France, ont quant à eux réservé une concession au cimetière. Au cas où. Quatre décennies plus tard, le grand prématuré a relevé bien des défis. Et croque la vie à pleines dents.

D'un combat à l'autre

Bientôt midi au PRC de Poitiers. Jean-Philippe Joly jette un œil à sa montre. La séance de chimiothérapie de Lise-Marie prendra fin dans une heure. « Je l’aime, alors je l’accompagne à chaque fois qu’elle vient ici », confie-t-il. La mère de famille souffre d’un cancer du sein. « On va foutre cette maladie hors de la maison. » Comme il y a huit ans, lorsque le natif de Dijon a guéri de l’hépatite C. Diagnostiqué sur le tard, Jean-Philippe Joly a mené un rude combat pour venir à bout du virus qu’il a porté pendant trente-sept ans. Les yeux embrumés, il raconte avoir été contaminé lors des transfusions post-natales. « Je n’en veux pas au donneur de sang. A vrai dire, je n’en veux à personne. »

Au chevet de son épouse depuis plusieurs mois, Jean-Philippe Joly « comprend tout ce qui se passe, les doutes, les angoisses ». « Même si les maladies sont très différentes, il y a beaucoup de similitudes dans la manière d’appréhender le traitement », explique-t-il. Le couple est parent de quatre enfants, âgés de 7 à 15 ans. « Ils sont tous en bonne santé. » Installée à Lusignan, la famille mène « une vie tout à fait normale ». Jean-Philippe, lui, travaille depuis près de vingt ans en tant qu’ingénieur territorial chez Eaux de Vienne. Au boulot, certains de ses collègues ne comprenaient pas l’hygiène de vie drastique à laquelle il s’astreint depuis l’enfance. « Je ne bois jamais d’alcool, par exemple, et pour beaucoup de gens, ce n’est pas normal. »

« Des mots sur les maux »

Après avoir guéri, Jean-Philippe a « mis du temps » avant de sauter le pas. Du sport d’abord, de l’écriture ensuite. 1 300km à vélo vers les îles anglo-normandes, du tir à l’arc, des arts martiaux, du parachutisme, de la plongée... « J’ai trouvé dans le sport un exutoire. » L’an dernier, le gaillard d’1,82m pour 80kg a transformé l’essai en éditant son premier livre, « J’ai rencontré un virus »(*). « J’ai tout couché sur le papier en trois semaines. Pendant mon traitement, je prenais des notes régulières sur les soins que je recevais, les relations sociales, les envies suicidaires... Sur l’enfance, j’ai longuement questionné mes parents. Ce travail d’écriture m’a permis de soigner mes maux avec des mots. »

En mai dernier, Jean-Philippe Joly a franchi un nouveau palier, en racontant son parcours aux élèves de Saint-Jacques-de-Compostelle. « Je cherche à témoigner utilement. » Résolument tourné vers l’avenir, il fait du combat contre le cancer de sa femme sa première priorité. En regardant vers l’horizon, le « mari inquiet », qui a fait du bouddhisme une source d’inspiration, entend délivrer un message universel : « N’abandonnez jamais ! » Après un dernier coup d’œil à sa montre, Jean-Philippe clôt l’entretien dans le hall du PRC. Sourire aux lèvres, avant de tourner les talons, il lance : « J’espère ne plus vous recroiser ici. »

(*)11€. Disponible sur TheBookEdition.com

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