Tennis : la face cachée du circuit pro

Depuis plusieurs jours, le monde du tennis est secoué par un scandale de matches truqués. Le phénomène gangrène ce sport depuis déjà de nombreuses années, comme en témoigne la Poitevine Marine Partaud, 414e joueuse mondiale.

Steve Henot

Le7.info

Un véritable séisme. Mardi, le quotidien sportif L’Equipe révélait l’interpellation de deux tennismen français, à Bressuire (Deux-Sèvres), dans le cadre d’une enquête sur des matchs arrangés en lien avec une vaste affaire de corruption sportive. Parmi eux, Mick Lescure, 25 ans et 487e joueur mondial passé par le Pôle France de Poitiers. Après deux jours de garde à vue, le jeune professionnel avouait, jeudi, avoir laissé filer le score de plusieurs matchs disputés dans des tournois « Challenger » et « Future » (les 2e et 3e divisions en tennis) contre des sommes d’argent. Un mal qui rongerait ce sport dans un étonnant silence, depuis déjà trop longtemps.

La Poitevine Marine Partaud, 414e joueuse mondiale et 18e Française, raconte ainsi avoir été approchée par un corrupteur lors d’un tournoi en Roumanie. « Si tu perds le premier jeu, je te donne 1 000€ après le match. » Refus de la jeune joueuse. Il lui était pourtant proposé une somme autrement plus attractive que le gain de la victoire fixé à… 50 €.

Terreur sur le circuit

Pour ces parieurs, les joueurs et joueuses de « seconde zone » sont les proies idéales. Car au-delà de la 200e place, il serait difficile de vivre de son sport. « On n’a presque pas le budget pour avoir un coach toute la saison », confie Marine Partaud. Malgré eux, ils sont aussi très exposés. Les parieurs rodent souvent aux abords des courts -trop facilement accessibles à ce niveau-, n’hésitent pas à aborder directement les joueurs avant leur match… Les échanges se font aussi par Internet, avec un ton particulièrement insultant et menaçant. La Poitevine de 24 ans dit ainsi recevoir « deux à trois messages (de ce type) à chaque match ». Elle a appris à les ignorer, bon gré mal gré. « A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’agression physique, heureusement. » Pourtant, la terreur s’est installée sur le circuit féminin.

C’est pourquoi, l’été dernier, la jeune femme passée par le Pôle France de Poitiers a exprimé, sur son compte Twitter, le ras-le-bol général des joueuses pros face au cyber-harcèlement. Son témoignage retient l’attention de plusieurs médias et de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Aujourd’hui, à la lumière des récents événements, « je ne pensais pas que ça allait prendre autant d’ampleur. Je suis contente que cela ait pu ouvrir les yeux aux gens ».

Interdire les paris ?

Engagés à l’Open d’Australie, l’« autre monde » du milieu pro, plusieurs joueurs français se sont montrés très sévères envers les premiers joueurs interpellés. Marine Partaud, elle, ne veut pas les accabler. « Mick Lescure, je le connais. Il devait être dans une telle souffrance financière… Je pense que c’est pour cela qu’il a craqué. » Avant de préciser : « Il n’y a rien qui excuse de céder face aux parieurs. Cela ternit vraiment l’image de notre sport. »

Au Centre fédéral d’excellence, l’ex-Pôle France de Poitiers, on n’a pas attendu que le scandale éclate pour sensibiliser les jeunes joueurs aux dangers des paris sportifs. Mais comment faire lorsque leur sont proposées des sommes qu’ils ne toucheront jamais en remportant un « Challenger » ou un « Future » ? « Ca va être un long travail à faire », reconnaît Marine Partaud, qui milite pour interdire les paris sportifs sur les tournois les moins dotés. Les prochaines semaines pourraient réserver leur lot de nouvelles révélations. Selon L’Equipe, une quarantaine de joueurs français seraient ciblés par cette enquête.

 

Alain Moreau : « Un fléau mondial »
Président de la Ligue de Nouvelle-Aquitaine et vice-président de la Fédération française de tennis, Alain Moreau estime que son sport est « face à un fléau mondial ». « Pour dix sociétés légales, vous avez cent sociétés clandestines, souvent basées en Asie. On a vu progressivement des types arriver en tribunes très bien habillés avec du liquide en poche et qui transmettent les résultats en direct… L’un des joueurs engagés au tournoi de Bressuire m’a dit qu’on lui avait proposé 10 000€ pour perdre un set sur un tournoi au Cameroun. Quand vous savez que le vainqueur gagne 2 000€ ! » Au-delà du constat, Alain Moreau assure que la Fédération française propose depuis quelques mois une appli à tous les organisateurs de tournois nationaux pour qu’ils puissent imprimer des badges nominatifs, donc éviter que les joueurs se retrouvent en contact avec d’éventuels parieurs. Restent les aéroports, hôtels, réseaux sociaux…
DR - Richard Lajusticia

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