« Doit-on protéger nos filles ou éduquer nos garçons ? »

Spécialistes de l’histoire des femmes, Lydie Bodiou et Héloïse Morel co-signent (*) un ouvrage intitulé Une femme sur trois, comme le nombre de femmes victimes de violences conjugales dans le monde. Lydie Bodiou travaille sur ce sujet depuis sept ans avec ses collègues de l’université de Poitiers.

Arnault Varanne

Le7.info

Après avoir publié plusieurs ouvrages spécialisés sur les violences faites aux femmes, pourquoi avoir décidé d’éditer un livre plus grand public ?
Héloïse Morel :
« Avec Une femme sur trois, l’objectif est de produire un ouvrage vulgarisé sur les violences faites aux femmes, qui offre des clés de compréhension d’un système patriarcal où existe encore un droit à disposer du corps des femmes. »

Lydie Bodiou : « Quand on parle de violence masculine envers les femmes, on nous rétorque que l’inverse existe. Et c’est vrai. Or, ce n’est ni la même récurrence, ni le même mécanisme, ni la même ampleur. C’est ce qu’on voulait expliquer simplement. »

Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre ces violences ? 
LB :
 « Si les bracelets comme en Espagne peuvent empêcher la récidive, il est nécessaire d’y mettre les moyens. Mais il s’agit d’une mesure d’éloignement qui n’est pas curative. La question devrait être : doit-on protéger nos filles ou éduquer nos garçons ? Pour moi, il faut faire les deux. »

HM : « L’urgence est d’appliquer et de donner des moyens à l’accueil, la protection, la sensibilisation. J’insiste sur l’éducation à la sexualité dès le plus jeune âge. Une loi de 2001, qui devrait concerner les élèves du primaire au lycée, n’est pas appliquée. Il y a un tabou sur la sexualité et, de fait, sur les violences car les deux sont liées. Pourtant, pendant la phase de construction de l’identité, le vivre-ensemble et l’acceptation de l’autre sont essentiels. »

« Un problème de formation des policiers »

Au-delà de l’aspect préventif, de nombreuses femmes victimes de violences conjugales déplorent une mauvaise prise en charge de leur situation par la police. Comment y remédier ?
LB :
« Il existe effectivement un problème de formation des policiers à l’accueil des victimes. Aller dans un commissariat porter plainte contre son conjoint n’est pas facile, encore moins si la personne en face minimise vos propos ou ne vous croit pas. »

HM : « Le policier doit juste recueillir la parole. Ce n’est pas son rôle de la juger. Or, le système judicaire français repose sur les preuves apportées par la victime. C’est pourquoi sa parole est mise en doute. Dans le système anglo-saxon, c’est le coupable qui doit prouver son innocence. »

Dans votre livre, vous dénoncez l’utilisation des termes « crime passionnel » ou « drame familial » pour qualifier les crimes dont le conjoint est l’auteur. Pour quelles raisons ? 
LB : 
« C’est une euphémisation des journaux. Derrière l’idée d’amour, il y a l’idée d’excuse. Mais les choses sont en train de changer. C’est une victoire. La prise de conscience doit maintenant se faire au niveau de la société. » 

HM : « Le fait que les féminicides soient comptabilisés (76 femmes depuis le début de l’année en France et 121 en 2018, ndlr) montre ce basculement. Il y a une identification du phénomène. Même s’il y a plusieurs angles morts sur ces chiffres, à savoir les suicides mais aussi les morts dues à une overdose. »

« Toutes les lois existent pour pénaliser, mais elles ne sont pas appliquées. »

Des associations féministes réclament depuis longtemps que soit utilisé le terme féminicide. Pourquoi fait-il débat ?
LB : 
« Un féminicide est le meurtre d’une femme en raison de son sexe. Le système pénal français ne reconnaît pas ce mot en raison de l’égalité de droit ancrée dans la Constitution. Il n’y a donc pas de distinction du crime en fonction du genre. Mais il y a des circonstances aggravantes pour les conjoints. Toutes les lois existent pour pénaliser, mais elles ne sont pas appliquées. »

HM : « Le féminicide à notre échelle est un crime conjugal, mais il existe un féminicide systémique dans d’autres régions du monde, qui est caractérisé par son ampleur et son impunité (au Congo, au Mexique). Le point commun est la domination masculine. »

Vous utilisez l’expression « crime de propriétaire » pour expliquer le féminicide en Europe…
LB : 
« Le crime de propriétaire est celui du conjoint qui perd sa « possession » et décide, plutôt qu’elle lui échappe, de la détruire. Il est fracturé dans son image. L’inverse n’est pas vrai puisqu’une femme qui est quittée par son conjoint ne le tue pas. »

(*) Avec Frédéric Chauvaud et Marie-José Grihom. Une femme sur trois - 80 pages. Editions Atlantique de l'Actualité scientifique Nouvelle-Aquitaine - commande sur editionsatlantique.com. Le livre est tiré d'une exposition présentée l'année dernière à l'Espace Mendès-France. 

 

 

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