Médecin-renfort en Martinique : « C’était inimaginable »

Du 12 août au 1er septembre, au plus fort de la vague de Covid-19 qui endeuille la Martinique (plus de 500 décès), le Dr Gwenaël Le Moal, infectiologue au CHU de Poitiers, est parti renforcer les équipes de celui de Fort-de-France dans le cadre de la solidarité nationale. « C’était inimaginable », témoigne-t-il.

Claire Brugier

Le7.info

Pourquoi être parti ?
« J’ai été marqué par la première vague de l’épidémie. Ici, nous avons été très peu touchés mais cela a été très différent dans l’Est de la France et j’ai alors eu l’impression d’être dans un pays où l’on n’était pas capable de s’aider. Et puis l’été est une période plus calme... A vrai dire, sur le moment, on ne réfléchit pas trop. C’est après que l’on réalise les implications pour nous mais aussi autour de nous, car il n’y a pas que celui qui part qui est impacté. »

Qu’avez-vous trouvé sur place ?
« Même si j’avais suivi les infos, c’était inimaginable. On se serait cru en période de guerre. Dès le deuxième jour, nous avons établi un rapide bilan : les quatre cinquièmes de l’hôpital étaient dédiés au Covid et 45% des patients auraient dû être en réanimation, mais il n’y avait pas de lits disponibles. Nous n’étions pas capables de proposer à ces malades très graves une égalité des chances en matière de soins alors que nous étions en France… »

Est-ce que cela interroge sur la vocation de médecin ?
« Plus jeune, j’ai travaillé en réanimation avec le Pr Robert. En réa, on se pose nécessairement la question éthique. Là, je ne suis pas parti pour sauver la Martinique mais pour soulager mes collègues, un objectif plus accessible. Chaque jour où j’ai travaillé, un collègue a pu prendre un jour de repos. »

Quel a été votre rôle au quotidien ?
« Après une première phase d’expectative et de déprime, pendant laquelle on se demande à quoi on sert, nous avons pu installer des lits de ventilation non invasive, mettre en place des protocoles hors standards... C’est comme si ici 90% des services étaient dédiés au Covid. En tant qu’infectiologue, je passais pour partager mon expertise avec des confrères d’autres spécialités afin d’optimiser la prise en charge des patients. J’ai vu des médecins pleurer de souffrance et d’épuisement car ne voyant pas d’issue face à l’afflux et à la vaccination qui ne prend pas. J’ai aussi rencontré des collègues venus en renfort qui partagent la même foi et la même philosophie que moi. J’ai trouvé de la solidarité dans une société de plus en plus égoïste, y compris au sein de l’hôpital. Et les patients étaient très reconnaissants. »

Pourtant, ces jours derniers, des soignants ont essuyé des insultes…
« C’est l’un des points noirs, dû à une petite minorité qui fait beaucoup de bruit. A sa décharge, nous arrivons six mois après le procès du chlordécone, il y a une défiance de ce qui vient de Paris. A cela s’ajoutent d’autres croyances et cultures. Il ne faut pas parler de vaccin. Je suis surtout inquiet pour la suite. Hors de la période actuelle, aigüe, la population ne sera probablement pas vaccinée. Les médecins venus de métropole vont repartir et les retards de prise en charge, des insuffisances respiratoires vont apparaître… Il va falloir réfléchir à maintenir des échanges jusqu’à ce que les services retrouvent une certaine autonomie, peut-être sous la forme de jumelages. »

Que retirez-vous de cette expérience ?
« Je ne pensais pas être impacté, je ne suis pas effondré, mais j’en rêve, je continue à soigner toutes les nuits. Quand on revient, on se dit que l’essentiel est ailleurs. Cela fait relativiser nos problèmes. J’ai reçu des témoignages extraordinaires, mes enfants m’ont dit qu’ils étaient fiers de moi. Cela redonne de la force. Jeune, lorsque l’on débute dans ce métier, on croit que l’on va sauver le monde. Evidemment que non, mais on a quand même ce pouvoir de changer les choses. Et c’est ma raison d’être médecin. »

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