Yann Andréa raconte Duras

Vous ne désirez que moi est la transcription fidèle, à l’écran, d’un entretien que Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras, a accordé à une journaliste au début de sa relation avec l’écrivaine. Claire Simon en tire un film-confession d’une rare sobriété.

Claire Brugier

Le7.info

« Une histoire vraie dont les mots viennent des personnages eux-mêmes. » Soucieux de ne pas trop en dire au public du Tap-Castille (Poitiers), où le film allait être projeté en avant-première fin janvier, Swann Arlaud a tenté cette définition sibylline -et très juste- du nouveau long-métrage de Claire Simon. Vous ne désirez que moi n’est ni vraiment une fiction, ni franchement un documentaire, encore moins un docu-fiction. Pendant plus d’une heure et demie, dans le décor reconstitué de la maison de Neauphle-le-Château, l’acteur de Petit Paysan, César 2018, prête sa voix à Yann Andréa, Lémée de son état civil.

En 1982, le dernier compagnon de Marguerite Duras s’est livré à la journaliste Michèle Manceaux. La transcription des cassettes audio de l’entretien est parue à titre posthume en 2016, sous le titre Je voudrais parler de Duras. Claire Simon propose de ce face-à-face une version cinématographique d’une rare simplicité, sans jugement, en s’appuyant sur le pouvoir évocateur du texte original. Les seuls écarts qu’elle semble s’autoriser sont ces mouvements bienveillants de la caméra et quelques images et dessins pleins de poésie et de pudeur qui viennent illustrer le récit.

Le spectateur assiste aux confidences de ce jeune homme tombé littérairement amoureux de Duras l’écrivaine, puis littéralement de Marguerite la femme, de trente-huit ans son aînée. « Il n’y a pas d’amour sans destruction », lâche-t-il alors que leur relation n’a que deux ans. Ils vivront ensemble pendant seize ans, jusqu’à la mort de l’écrivaine en 1996, mais déjà Yann Andréa se sent dépossédé de son langage, de ses désirs, de sa vérité. Marguerite Duras n’apparaît pas, hormis dans quelques photos et vidéos d’archives -un petit cadeau que ses admirateurs ne bouderont pas- mais elle est au cœur de cette confession dont Swann Arlaud se fait le porte-mots, à la fois sobre et tourmenté face à la présence silencieuse, emplie d’écoute, d’Emmanuelle Devos. Un film pudique sur l’intimité crue, souvent cruelle, d’un couple énigmatique.

Drame de Claire Simon, avec Swann Arlaud, Emmanuelle Devos, Nicolas Paou (1h35).

 

L'acteur Swann Arlaud incarne Yann Andréa dans le nouveau long métrage de Claire Simon. Il s'est prêté au jeu des questions à l'issue de la diffusion en avant-première au Tap-Castille, fin janvier.

Le scénario
« Lorsque je l’ai lu, j’ai trouvé le texte très puissant mais je ne me voyais pas le jouer. Yann Andréa, je ne lui ressemble pas beaucoup et la performance biopic m’effraie plus qu’autre chose. Mais Claire (Simon) m’a dit : ce que je veux, c’est un acteur pour dire le texte. Ensuite j’ai fait plusieurs lectures avec Emmanuelle (Devos) et quelque chose de sympathique et d’évident s’est passé. J’ai vu une histoire un peu improbable, extraordinaire mais universelle. Parfois ma copine c’est Marguerite et parfois je suis Marguerite. Ça parle d’amour, tout simplement. C’est un film #MeToo, mais inversé. Malgré tout, ce n’est pas un film contre Duras. Lui est tout aussi monstrueux qu’elle. »

Le tournage
« J’ai tout fait à l’oreillette parce que la décision a été prise de tourner près d’un mois avant la date prévue, après les vacances de Noël… J’ai un enfant, je n’avais pas le temps d’apprendre mais Frédéric Pierrot m’a parlé de son expérience d’oreillette avec Laura Thomassaint pour En Thérapie. Quoi qu’il en soit, cela ne dispense pas de travailler le texte en amont, pour savoir où vont les phrases, surtout avec Yann Andréa qui a une façon de s’exprimer assez littéraire. Dans la manière dont les mots sont agencés, on chemine avec lui. On plongeait à chaque fois dans quarante-cinq minutes de tournage. »

Marguerite Duras
« J’ai lu Duras entre mes 20 et mes 30 ans, j’ai été fasciné par le mythe et cette sensualité qui traverse ses textes. Mon beau-père était chef-opérateur sur ses films et, enfant, j’ai vu cette maison de Neauphle, cette femme faire la cuisine, jouer du piano… Et je n’avais pas du tout envie de coucher avec elle devant mon beau-père ! (sourire) En même temps,  il y avait quelque chose d’assez familier pendant le tournage. »

Yann Andréa
« Je ne voulais pas essayer de ressembler à Yann Andrea mais Claire (Simon) m’a quand même habillé en Marguerite, avec un petit gilet noir, un petit col roulé… Dans Saint-Laurent, Gaspard Ulliel, à qui je veux rendre hommage, n’essaie pas de lui ressembler mais il a cherché en lui où cela faisait écho. »

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