Myriam Chesseboeuf, la belle et les lettres

Myriam Chesseboeuf. 57 ans. Originaire de Valdivienne. A travaillé douze ans dans la banque avant de (re)trouver le chemin des belles lettres, entre Québec et Chauvigny. Meilleure ouvrière de France en enluminure depuis 2019. Hypersensible et déterminée.

Claire Brugier

Le7.info

Il reste encore quelques petits ajustements à faire, des coups de peinture à donner ici et là, des fenêtres à changer pour éviter que la pluie ne s’invite mais… « Je me sens chez moi », lâche Myriam Chessebœuf en balayant du regard le grand atelier où elle a posé en 2022 ses pinceaux, pigments et parchemins. Sa veste 
de MOF aussi. Le vêtement au col bleu-blanc-rouge brodé à son nom dit son titre de Meilleur Ouvrier de France en enluminure, décroché en 2019. Il dit surtout le chemin parcouru, les efforts et la persévérance qui ont mené la petite fille de La Chapelle-Mortemer vers l’excellence artisanale pour mieux la ramener à Chauvigny, la « ville joyeuse » de son enfance. Car, clin d’œil du destin, la voilà de retour au cœur de la cité médiévale, dans ce qui fut la cantine de l’école Saint-Martial, son école. 


Exercices d’écriture

A 57 ans, Myriam éprouve parfois des regrets lorsqu’elle pense à cette enseignante du collège chauvinois qui n’a pas voulu croire qu’elle était l’auteure d’une rédaction trop joliment calligraphiée, et plus largement à tous ces adultes qui n’ont rien vu. Elle aurait gagné du temps. Mais elle était fille et petite-fille de cuisinières, alors ils l’ont laissée s’engager dans un CAP hôtellerie. Les indices étaient là pourtant. « Ma mère et ma grand-mère étaient de grandes lectrices », se souvient Myriam. D’elles, elle a hérité son goût des livres au-delà des seuls mots. Le premier qui a marqué sa mémoire lui a été offert par sa mère :
« Il avait une reliure jaune, un dos avec de la dorure… C’était une histoire d’animaux. » Le deuxième, sa grand-mère le conservait précieusement dans sa chambre, un beau livre sur le patrimoine que sa petite-fille était autorisée à consulter sur place uniquement. « Elle me donnait du beau papier à lettres et je recopiais des chapitres entiers. Quand je repartais de chez elle, je me sentais riche des informations collectées et de ces feuilles que je stockais précieusement. » Il y a aussi cette autre réminiscence, récente, l’odeur de l’encre dans laquelle elle trempait sa plume Sergent Major, à l’école de Lhommaizé. Sa collection de pointes métalliques date de cette époque, elle a quarante-sept ans et l’a suivie partout, témoin discret de son goût pour les belles lettres.

"Comme si je retrouvais mon identité"

Pour des raisons de santé, Myriam s’est rapidement détournée de l’hôtellerie. Une opportunité lui a fait mettre un pied chez Thomas Cook, à la gestion des Travellers Cheques, une antichambre du milieu bancaire où elle a passé douze ans, sans passion, de Paris à Montmorillon. Pendant son temps libre, Myriam peignait des œufs, un loisir inspiré d’un séjour en Angleterre, et elle explorait de nouvelles techniques… De calligraphie médiévale en 1999, d’enluminure au musée Sainte-Croix l’année suivante. « Une évidence !, lâche-t-elle, émue. C’est comme si j’étais retombée dans le livre. Comme si je retrouvais mon identité. Ces petits dessins, casser un œuf et ajouter du miel… J’ai pensé à mon grand-père maternel, qui était peintre en bâtiment et faisait ses propres peintures. » Peu après, elle a troqué les œufs contre le parchemin et, en 2004, elle a tout emmené au Canada. Son fils avait 3 ans, sa fille 8. 
« Nous avons tout vendu et nous sommes partis. » Grâce à un ensemble de 70 lettrines enluminées exposé dans le réseau des médiathèques de Québec, elle s’est fait connaître et installée en tant qu’enlumineur… Et non enlumineuse : bien que profondément militante de l’égalité homme-femme -entre autres-, l’artisane tord le nez sur le suffixe -euse.

MOF depuis 2019

Outre-Atlantique, Myriam a développé une large clientèle. « Au Canada, les gens sont friands de tout ce qui est médiéval, il y a une vraie valorisation du manuscrit. » 
Elle a travaillé pour le service du Protocole, l’Autorité héraldique d’Ottawa, le ministère de l’Education… Elle a réalisé 
« des arbres généalogiques, des blasons, des livres d’or, des faire-part de mariage, des couvertures de CD… », tout en préparant son diplôme de l’Institut supérieur européen de l’enluminure. Et puis en 2017, « en manque de patrimoine, de jardinage et de bons fromages », elle a dit au revoir aux « cinq mois de blanc ». 
« J’en étais à avaler du plasma marin et de la chlorophylle liquide ! », s’exclame-t-elle. Elle a fait le trajet retour, juste avec son fils, et « pour [s]’occuper le cerveau », elle s’est lancée, avec détermination toujours, dans la préparation de son chef-d’œuvre de MOF : dix-huit mois de fièvres et de sueurs froides « pour comprendre comment ce manuscrit avait été fait », en l’occurrence le folio 61r des Grandes Heures du Duc de Berry. Exit « le syndrome de l’imposteur » de l’autodidacte, la veste blanche a tout réparé. Finalement, « tout est bien, il n’y a rien pour rien »,
résume avec philosophie celle qui alterne solitude choisie et moments de partage, sourires et gravité, silences et vérités, avec courtoisie toujours. « L’important, c’est d’offrir le Beau aux gens car il n’y a pas d’énergie dans la médiocrité. C’est ma morale de l’histoire. Et mon arme, c’est l’enluminure. »

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