Faut-il évaluer nos enfants ?

Depuis une semaine, parents et syndicats d’enseignants dénoncent un «classement» des élèves, dès 5 ans, qui se fonde sur leur comportement. Pour le ministre, il ne s’agit que d’un «outil facultatif».

Romain Mudrak

Le7.info

 « Votre enfant présente un haut risque d’échec ! » En entendant la maîtresse s’adresser à eux dans ces termes, tous les parents ressentiront forcément un peu d’inquiétude. Après les vacances de la Toussaint, les enseignants de grande section de maternelle disposeront d’une grille d’observation destinée à évaluer le comportement des enfants, mais aussi leur motricité, leur maîtrise du langage et des syllabes. En fonction du score obtenu, l’élève sera classé en trois catégories : « à risque », « à haut risque » et « rien à signaler ». 

Dans un premier temps, le vocabulaire a choqué. Associations de parents et syndicats d’enseignants ont ensuite été étonnés par la méthode qualifiée de «fichage inutile» et «d’étiquetage». Pour le SE-Unsa, Laurent Cardona estime que « les enseignants savent très bien identifier, dans le cadre habituel des activités en classe, les enfants qui ont besoin d’accompagnement particulier ».  

« C’est leur métier », assure-t-il. Un point de vue confirmé et amplifié par Angélique, institutrice en maternelle à Poitiers: « Le ministre ne prend pas en considération le fait que nous travaillons avec de l’humain, des enfants qui se construisent à leur rythme. Ils ne rentrent pas dans des cases. » Comme Nicole Catheline, pédopsychiatre au Centre hospitalier Laborit (voir en annexe), Angélique considère que ce tri ne servira à rien sans accompagnement : « Il faudrait plutôt que le ministre de l’Education nationale nous rende les Rased qui nous manquent cruellement. » 

Dans les colonnes du Monde (19/10), Luc Chatel a reconnu une « maladresse dans le choix des termes ». Avant de justifier la création de « cet outil facultatif » : « On ne peut pas passer ses journées à déplorer que notre école primaire laisse sortir 15% d’enfants qui ne maîtrisent pas la lecture et refuser l’idée d’un repérage précoce des lacunes qui entacheront les apprentissages. » 
« Les plus éminents spécialistes du langage m’ont expliqué que tout se joue en maternelle », a indiqué le ministre. Qui a réaffirmé: « Ce diagnostic doit être fait avant le CP. »

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L’expert

« Le problème, c’est prise en charge » 
Pédopsychiatre à l’hôpital Laborit, Nicole Catheline a participé au groupe de travail préalable à l’élaboration de ce projet. Pourtant, elle était convaincue qu’il ne sortirait jamais. 
 
Ce test n’arrive-t-il pas trop tôt dans le parcours de l’élève ? 
« L’âge retenu est le bon. La démarche me paraît intéres-sante et nécessaire, l’objectif étant d’aider ces enfants en difficulté plus tôt. Sur le fond, je n’ai donc rien à redire. Sur la forme, je remarque qu’il est compliqué de faire passer une idée comme celle-ci au plus grand nombre. (…) Nous n’avons pas la culture de l’évaluation en France. » 
 
Le résultat peut apparaître comme un couperet… 
«Ce qui est vrai aujourd’hui pour un enfant ne le sera peut-être pas demain. Il ne faut pas considérer une évaluation comme quelque chose de définitif, un couperet. C’est, au contraire, le début d’un chemin. C’est une bonne chose de reconnaître, je n’aime pas le terme de repérer, qu’un enfant a des difficultés. Le gros problème qu’il faut surtout soulever, c’est celui de la prise en charge. » 
 
Autrement dit, que faire des enfants à risque ? 
« En termes d’effectifs de pédopsychiatres, nous sommes dans le creux de la vague. Le risque, c’est que les familles et enfants soient confiés à des personnels moins qualifiés… En résumé, si je suis d’accord pour la reconnaissance précoce des difficultés, j’estime qu’il faudrait déjà se préoccuper de renforcer le système de santé. On soulève des lièvres que l’on ne pourra pas abattre plus tard ! » 

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