Libre

Le Regard de la semaine est signé Sourabad Saïd Mohamed.

Le7.info

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Mon frère Achmet(*), cette liberté que tu recherches tant est tellement loin. Dans un monde où elle est devenue relative, dans un monde où les masques sont devenus les seuls visages possibles, dans un monde d’apparat de faux-semblants et d’hypocrisie, tu as souhaité apporter une lecture différente. Qu’est-ce que cela t’a coûté ? Tu ne vois pas tes enfants depuis une année et demie. Ça, c’est pour la partie privée. Je ne te parle pas de nous... Cela fait bien longtemps que tu ne nous écoutes plus.

Libre comme une ode d’Antoine de Saint-Exupéry. Libre de ta cellule, de tes barreaux physiques. Libre de tes allées et venues, mais attention, tu ne peux t’exprimer, dire ce que tu as vu. Je te vois dans ce fourgon encagoulé ne sachant ce que tu vas advenir. Je vois ton cœur battre, toutes ces images qui défilent dans ta tête… A quoi pensais-tu à ce moment ? Que ressentais-tu ? Des images qui défilent, des heures et des heures, un cadre digne d’un film d’espionnage. Il fallait avoir la liberté bien au-delà de son cadre physique pour tenir. Je te vois dans cette cellule, lugubre : vont-ils me tuer ? 
Je te vois répondre à cette question par une pirouette : je serai comme Lumumba… Mais étais-tu si certain de toi ?

Est-ce que tu m’as vu moi, mes angoisses, mes paradoxes ? Est-ce que tu as vu maman et toutes notre fratrie ? Libre ! Ce mot tant chéri et en même temps, tant malmené. Ce mot-valise mais au fond ça ressemble à quoi la liberté ? Faire ce que l’on veut ? Rousseau dit que ce n’est pas cela la liberté. Cette liberté physique est toujours et en même temps structurée par une contre-liberté, une contre-force physique ou morale ou encore politique. Mais il existe sans doute une autre liberté, celle qui fait tomber les masques, celle qui prendra le risque du « dire vrai ». 
Cette liberté-là suppose un dépassement, un étrange dépassement. Elle est profonde et construit la place que toi tu veux. Mais le dire vrai est un risque. Le risque suppose un certain courage. Dire la vérité à un ami peut devenir source de dissensus. Dire la vérité à un dictateur ou à ceux qui détiennent le pouvoir peut être considéré comme un crime de lèse-majesté. La vérité n’est pas libre dans ce cas, elle n’est pas bonne à dire. Alors comment peut-on se penser libre sans être capable de penser la vérité et de la dire. 


Après tout ce temps derrière les barreaux, tu es aujourd’hui dehors. Mais es-tu libre pour autant ? Dans ces démocraties bananières, dans ces mondes parallèles aux droits élémentaires qui protègent, comment penses-tu ta liberté. Libre comme Rima Hassan ? Voilà, nous sommes soulagés, certes. Maman a le visage qui rayonne. Merci à tes avocats, merci à nos amis. Libre !

(*)Détenu depuis janvier 2024 aux Comores, Achmet Saïd Mohamed a été libéré en mai 2025. Opposant politique au président du pays, l’ancien chercheur à l’IC2MP a vécu plusieurs années à Poitiers. 


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