Le sommet était si proche

Enormes de talent et d'abnégation, les Poitevins ont buté sur l'écueil du set décisif, face à une montagne russe qu'ils crurent longtemps asservir. Pour voir le prochain tour, il faudra gagner, mercredi, dans le Tatarstan. Aïe.

Nicolas Boursier

Le7.info

Quelle idée d'affronter une équipe russe par -4°C au dehors ! Pour espérer tournebouler les esprits adverses, Poitiers aurait quand même pu faire un effort d'imagination. A défaut d'avoir Dame Météo dans la poche, au moins les hommes d'Olivier Lecat pouvaient-ils compter sur un Saint-Eloi (enfin) plein. Bien plus qu'une roue de secours pour une embarcation déjà tremblante à l'idée de défier les gabarits hors-normes de sa rivale. Et qui, faut-il l'avouer toute de suite, ne fut guère rassurée par sa mise en route.

5-0 en deux minutes. Kazan avait déjà mis les gaz, le même, sibérien sans doute, dont il défend les couleurs. Face à pareil démarrage, la frêle carlingue poitevine n'avait alors qu'un moteur défaillant pour rivaliser. Défaillant mais pas saturé. Wanderson et Lopes, préférés l'un et l'autre à Maréchal en réception, appuyaient d'un coup sur l'accélérateur, pour entretenir l'espoir d'un retour (11-13). Malgré la hauteur de l'alambic tatare, Lopes se payait même le luxe de coincer, seul, au coin du bois, l'immense Mikhaïlov (17-20). Las, l'Américian Priddy, sentant la menace poindre, vengeait aussitôt son pointu pour relancer la machine (18-22). Un banal entretien d'Apalikov au block et Berezhko en poste 2 suffisait dès lors au Zénith pour décrocher sa première étoile (20-25)

Ne lui en déplaise, le champion de France venait de payer au prix fort son retard à l'allumage. Pour trouver son salut, il lui fallait dès lors resserrer les boulons et éviter que la grosse cylindrée russe ne monte dans les tours. Une seule solution pour cela : la faire jouer au maximum et multiplier soi-même les défenses héroïques. Pari relevé !

Avec un Culafic percutant dans les bagages, l'affaire présentait enfin une bien meilleure gueule pour des Poitevins nullement déroutés (7-6). Soudain moins fiable en réception et brouillon en attaque, le lauréat 2008 de la Ligue des Champions écaillait peu à peu sa rutilante carrosserie (14-12). Le coup de pinceau asséné par le ventripotent Alekno faisait un temps son effet (17-17), mais avait bien du mal à tenir sous les assauts d'un Wanderson en ébullition (20-18). Le «?petit?» était définitivement décomplexé et s'offrait même le crédit de l'insolence. A l'image de Teixeira, omniprésent sur tous les points chauds de l'arrière-boutique. Aidé par un tel enthousiasme, Poitiers ne pouvait plus plier. Sa récompense sortait du bras d'Apalikov, avachi, comme un ado en pénitence, sur le service du sursis (25-23).

Défense héroïque

L'ogre russe redeviendrait-il un enfant docile ? La question méritait d'être posée, tant son impuissance à brider l'énergie de la défense poitevine semblait, à cet instant, difficile à endiguer. Les locaux en profitaient, Sol, meilleur contreur de la première phase européenne, chaussant Cheremisin pour un premier petit vent (7-5).

Appelé à la rescousse pour suppléer l'égrotant Mikhailov, le même Cheremisin n'avait pas plus de réussite que son compatriote. Puni par papa Vlad, il s'en retournait prestement dans son coin, devant des yeux poitevins rieurs (11-8). Le tour joué au «?monstre?» devenait même épatant, lorsque, seul au monde, Pinheiro renvoyait Sivozhelez dans ses quartiers.

16-12 au deuxième temps mort technique, voilà qui fleurait bon l'exploit ! Car ç'en eût déjà été un que de mener deux sets à un face à l'un des équipages les mieux armés du continent. C'est sans doute, d'ailleurs, parce qu'il figure parmi les favoris de la compétition que, justement, ce Zénith-là, apathique durant une demi-heure, choisit cette menace de mise au pilori pour se rebeller. Et revenir comme un bolide dans le pot d'échappement poitevin, sur un service pleine ligne de Mikhailov (17-17).

Poitiers n'a pas la même carte de visite. Mais il aspire à la noircir un jour. Il a en tout cas du coeur et de la suite dans les idées. Sitôt rattrapé, sitôt reparti (22-18). Culafic à l'engagement, Berezkho out, et Culafic encore en bout de filet, donnaient au final de cette troisième manche les allures du marche triomphale (25-22). Incroyable!

Détails fatals

Durer pour rêver. Tel était désormais le leitmotiv de Pinheiro et sa bande. A carburer plein pot pendant trois manches, pouvaient-ils se prémunir de la surchauffe ? Difficile à croire, tant Vermiglio et les siens, piqués dans leur orgueil, semblaient cette fois-ci décidés à agir en maîtres (5-9). Jusqu'à ce que Lopes, au four et moulin, ne vienne coiffer l'inégal Mikhailov et ne dégrippe la mécanique (8-10), on crut la rédemption poitevine possible. Las. Deux trois erreurs fatales rechargèrent illico les accus visiteurs. Cul à cul (11-13, 13-15), les deux protagonistes s'en donnaient alors à coeur joie. Lopes, lui, exultait même tel un gamin en contrant Berezhko pour revenir à la hauteur de la berline slave (18-18). Wanderson remettait le turbo et Poitiers, pour la première fois, passait devant (20-19).

Franchement, sur la durée des débats, il méritait de passer la ligne en tête. Mais la raison du coeur n'est pas toujours celle de la logique. Deux hésitations plus tard, Culafic et les siens l'apprenaient à leurs dépens, sur une attaque «limite» (a-t-elle vraiment été touchée ?) de Mikhailov (23-25).

Ainsi donc, il faudrait en finir sur les jantes d'un cinquième set aléatoire. Aléatoire et suffocant, puisque résumé à un mano a mano dix points durant. Jusqu'à, hélas, cette réception déficiente de Lopes. Deux longueurs d'avance pour l'expérimenté Kazan (5-7). C'en était trop pour des Poitevins éreintés. Qui calaient tout au bout de la ligne droite.

Le rêve d'une qualification historique n'est pas encore passé. Le concrétiser relève pourtant du «?quasiment impossible?». Mais à coeurs aussi vaillants...


 

POITIERS-KAZAN : 2-3 
Gymnase de Saint-Eloi. 2400 spectateurs environ. Arbitrage de MM. Ormonde (Portugal) et Heckford (Grande-Bretagne). Poitiers-Kazan : 2-3 en 1h58 (20-25 en 24', 25-23 en 25', 25-22 en 28', 23-25 en 27', 13-15 en 13')
Poitiers : Pinheiro, Sol, Petrovic (puis Zopie, puis Audric), Wanderson (puis Devèze, puis Maréchal), Lopes (puis Maréchal), Culafic. Libero : Teixeira.
Kazan : Vermiglio (puis Demakov), Sivozhelez (puis Berezhko, puis Obmochaev), Apalikov, Priddy (puis Berezhko), Gutsalyuk, Mikhailov (puis Cheremisin). Libero : Babichev.
Poitiers : Culafic 24, Wanderson 16, Sol 13, Lopes 12, Zopie 5, Pinheiro 5
Kazan : Mikhailov 27, Berezhko 16, Gutsalyuk 10, Apalikov 9, Sivozhelez 6, Vermiglio 5, Priddy 3, Cheremisin 2

 

 

Ils ont dit
Olivier Lecat, entraîneur de Poitiers : «Je suis très fier de mes joueurs. Déçu, certes, que l'on n'ait pas pu concrétiser ce que l'on a touché du doigt, mais super heureux de l'application mise au combat. Ce soir, nous avons réussi à faire déjouer cette équipe, tellement solide sur ses fondamentaux. Par moments, nous avons été très propres et très intelligents. Nous aurions pu l'emporter 3-1, mais l'inexpérience de cette compétition nous a fait plonger en fin de quatrième manche. Avec le recul, il faut savourer. En n'oubliant pas qui on est, et qui ils sont. Le match retour ? Chaque rencontre a sa vérité. Nous les avons embêtés aujourd'hui. Pour le refaire chez eux, il faudra renouveler ce genre de prestation à l'identique. Avec plus de précision encore dans le détail. Qui sait...»

Vladimir Alekno, entraîneur de Kazan : «Je savais que jouer ici ne serait pas une partie de plaisir. Le volley-ball français est fait de technique et de défense, il fait beaucoup jouer l'adversaire. Nous l'avons vérifié ce soir. Je suis heureux de m'en sortir avec cette victoire. Au retour, au moins, nous n'aurons pas le décalage horaire dans les jambes. Aujourd'hui, nous l'avons ressenti.»

Carlos Teixeira, libero de Poitiers:
«Dans ce genre de compétition, dans ce genre de match, l'expérience est primordiale. Elle nous a fait défaut à des moments-clés. Mais nous pouvons nous regarder en face. Nous avons respecté les consignes du coach, après une préparation minutieuse. Le club, la ville et nous-mêmes méritons cette Ligue des Champions. Nous n'avons pas à rougir et rien à regretter. On est juste passés à côté d'un réel exploit. Mais vivre cette épreuve de manière intense suffit, personnellement, à mon bonheur. Et puis, après tout, il reste un match retour...»

 

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