Une armée en compagnes

Cent soixante Marsouins sont actuellement en mission au Mali. A Poitiers, leurs épouses et compagnes vivent dans l’attente, parfois dans la peur. Femme de soldat ? Un vrai métier.

Nicolas Boursier

Le7.info

« C’était le 19 janvier. Tout est allé si vite. » La mémoire d’Emilie est infaillible. Elle la renvoie à la surprise d’une annonce. A la colère d’un départ. « La décision a été subite et je n’étais vraiment pas prête à voir Stéphane faire son paquetage. J’avoue que je l’ai très mal vécu. » Depuis le coeur de l’hiver, le caporal Stéphane H. a rejoint les contreforts du massif des Iffhogas. Au côté de cent soixante autres Marsouins et des forces maliennes, ce pilote de blindé oeuvre à la libération des territoires du Nord, cernés par des groupes islamistes armés.

A des milliers de kilomètres de ce théâtre d’opération sensible, où trois militaires du RICM ont déjà été blessés au combat, Emilie et toutes les femmes de soldats patientent dans l’espoir d’un retour. « Le seul problème, c’est qu’aucune échéance n’a été fixée, regrette la jeune femme. Lorsque mon compagnon est allé en Afghanistan, en 2011, on savait que c’était pour six mois. Là, on n’a aucune idée de la durée de la mission. » Nathalie, elle non plus, ne peut se projeter vers l’avenir et ces vacances estivales qu’elle avait prévu de prendre avec sa fille ado et Fabien, son adjudant-chef de mari. « Ne pas pouvoir anticiper, c’est un vrai poids. » En vingt ans de mariage, ces opérations à l’étranger n’ont pourtant jamais constitué une entrave. Sans doute parce que Nathalie est elle-même sous-officier du RICM. Barrette d’adjudant sur le plastron, l’ancienne pensionnaire de l’Ecole militaire de Paris dégage force et sérénité. Une façade ? « Oui, bien sûr que la séparation est douloureuse, concède-t-elle, mais c’est le prix à payer pour honorer notre engagement. Un soldat vit avant tout pour l’adrénaline de ces missions de terrain, c’est son Graal. Je ne peux pas dire que je ne m’inquiète jamais, mais j’ai appris à vivre avec. »

 Un « Je vais bien ! » me suffit

« Vivre avec » c’est, pour ces deux femmes, passer sous silence les tourments de l‘absence. Quitte à se replier sur soi et ses blessures intimes. « Le pire, dans ma situation, c’est que les femmes des gars du 1er escadron me demandent régulièrement des conseils et des nouvelles de leurs conjoints, explique Nathalie. Je dois dire que c’est assez cocasse, parce qu’elles oublient que je suis comme elles, loin de mon mari. » Emilie aussi s’efforce de faire face, comme si de rien était. « Mais c’est parfois très dur, admet-elle. Je n’ai pas de proches autour de moi et très peu d’amis. J’ai surtout une petite fille d’1 an et demi. Elle est encore jeune, mais elle commence à ressentir le manque. Il faut la voir regarder les photos de son papa et réagir quand le téléphone sonne. A chaque fois, elle croit que c’est lui. Ces moments-là me rappellent combien je me sens seule. » La douleur est présente. Mais ni Nathalie ni Emilie n’ont réellement peur de ces coups de fil. «Car nous savons que si quelque chose de grave arrivait, on ne nous l’annoncerait pas de cette manière.»

Pour éviter de gamberger, le duo évite tout simplement de regarder la télé et les infos, préférant se recentrer sur l’attente d’un message. « Il m’est arrivé d’être plusieurs jours de rang en contact avec Stéphane, puis silence radio pendant deux semaines, confesse Emilie. Et lorsqu’il m’appelle, il me dit uniquement ce que je veux entendre. Un « Je vais bien » suffit à ma tranquillité. Je ne veux rien savoir d’autre. » L’une a embrassé la carrière de militaire, en s’imprégnant très tôt des exigences de sa fonction. L’autre a dû apprendre à quitter et retrouver, faire front et souffrir en silence, intégrer les mots « blessure » et « mort » à son horizon. Deux profils, un même devoir. Ce sont les femmes de soldats. Engagées volontaires.
 

À lire aussi ...