Hélène et Bruno Pajot, l’esprit de communauté

Hélène et Bruno Pajot. 67 et 65 ans. Fondateurs de la communauté Emmaüs de Naintré-Châtellerault, en 1981. Amorcent leur quarantième année de vie « au service des autres ». Avec des hauts, des bas et pas mal de fatigue.

Arnault Varanne

Le7.info

« Est-ce qu’on décroche ? Est-ce qu’on reste ? Combien de temps ? » Hélène Pajot s’interroge à haute voix. Les yeux cernés, elle se retourne vers Bruno. Et la réponse fuse : « On est pris dans un tel tourbillon de demandes d’aide, d’hébergement, d’afflux de matériels qu’on n’a même pas le temps d’y réfléchir... » A la table des confessions, les Pajot se livrent sans retenue. Eux qui ont fondé la communauté Emmaüs de Naintré-Châtellerault (emmaus-naintre-chatellerault.org) sont aujourd’hui un peu las. Leur horizon s’inscrit pourtant au moins jusqu’au 4 juillet 2021. Ce jour-là, le couple fêtera le quarantième anniversaire de la naissance de la communauté. « On l’a toujours fêtée, c’est important... », glisse Hélène. 

Les Pajot sont fatigués, débordés par le nombre de personnes auxquels ils doivent tendre la main. Deux cents aujourd’hui, alors que l’activité peut en faire vivre soixante. « Sachant aussi qu’il n’y a pas d’échange par le travail pour quatre-vingts à quatre-vingt-dix d’entre eux. » Hélène : « Bruno ne sait pas dire non... » Bruno : « Je reste fidèle au message de l’abbé Pierre, c’est-à-dire mettre un toit sur la tête. » L’homme à la barbe blanche reconnaissable entre mille admet qu’il n’est « pas trop maîtrisable. On n’est pas électrons libres, mais... » Un tempérament qui leur a valu de nombreux démêlés avec des membres du conseil d’administration et Emmaüs France. Ils assument. Surtout celui qu’on appelle « le chef ». Près de dix ans sans vacances, au chevet des plus nécessiteux. 

L’Afrique à vélo 

Cette vie simple, dévouée aux autres, presque sacerdotale, ils en sont fiers. « On n’a jamais eu de plan de carrière », estime Bruno. Lui le Dordognot a rencontré sa future femme charentaise lors des « vendanges de l’amour ». Un job d’été propre à « gagner du fric » avant de rallier l’Afrique. A vélo. En 1977. Un an à filer des coups de main ici et là, de la Mauritanie au Maghreb. Les deux tourtereaux épris de liberté avaient déjà « fait » la Grèce, l’Inde et la Turquie -où Bruno a contracté une hépatite en vendant son sang-, loin du « métro-boulot-dodo » auxquels ils ont toujours refusé d’adhérer. 

Les contingences militaires ont rappelé Monsieur à ses obligations. « Il fallait que je rentre pour finaliser ma demande comme objecteur de conscience. » Après un an au service des Eaux et forêts, en Gironde, il s’est dirigé vers Emmaüs Poitiers, « la seule association à accueillir des couples ». L’abbé Pierre ? « Jamais entendu parler avant ! » Au bout d’une semaine, Hélène est à deux doigts de faire ses valises. « Ils me faisaient peur ces gars de la route, anciens militaires marqués par l’alcool, la drogue... C’était violent pour une femme. » Le « sentiment d’utilité » l’emporte finalement sur les désagréments. « Mais on nous a bien fait comprendre que c’était à nous de trouver notre place. Personne ne nous attendait comme les sauveurs. Ça a été une belle leçon d’humilité. » Plus de quarante ans après, les motivations n’ont pas bougé d’un iota, quand bien même les publics ont changé. Aujourd’hui, 90% des laissés-pour-compte qui se présentent au 19, rue de la Tour (Naintré) et route de Nonnes (Châtellerault) sont des migrants. Ce qui rend la tâche plus compliquée encore. 

« Une cohérence dans nos parcours »

Hélène et Bruno le savent, l’avenir passe par une séparation des activités, de collecte, vente et accueil d’un côté, d’hébergement de l’autre. « C’est sans doute ce projet porté par Emmaüs France qui nous fera prendre du recul. » Pour faire quoi ? Hélène aimerait consacrer plus de temps à ses petits-enfants. Les trois enfants du couple, deux filles et un garçon, vivent respectivement à Châtellerault, Cholet et en région parisienne. L’une est infirmière, l’autre aide-soignante -« des métiers du soin, de la protection », note Hélène-, le troisième cherche encore sa voie. 

A 67 et 65 ans, leurs parents entrevoient au loin une porte de sortie. Eux qui côtoient la détresse des autres de très près restent combatifs et regrettent les appels à l’aide ignorés par les pouvoirs publics. Les courriers adressés à la Direction départementale de la cohésion sociale de la Vienne (DDCS) ne trouvent visiblement aucun écho. En même temps, les communautés Emmaüs ont toujours fait de l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics leur marque de fabrique. Celle de Naintré-Châtellerault sans doute plus que les autres. Les temps ont changé mais pas Bruno et Hélène Pajot. Lui : « Je crois qu’il y a une certaine cohérence dans nos parcours. » Elle : « On a une vie pleine, aucun regret. 

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