Rodolphe Bouin, le patron normal

Rodolphe Bouin. 46 ans le 21 mars. Président du directoire du Futuroscope depuis avril 2018. Enfant du parc, il a gravi tous les échelons jusqu’au sommet. « Excessif en tout », ce patron au style jean-baskets tranche avec les codes du genre. Sait d’où il vient et où il va.

Arnault Varanne

Le7.info

Et un, et deux, et trois, et quatre cafés ! Il ne compte plus les allers et retours vers son placard dérobé. A la veille de l’ouverture de la saison 2023, et au retour d’un séminaire à Evian, Rodolphe Bouin carbure à la caféine. « En mission » à la tête du parc qui l’a « fait en tant qu’homme », le patron du Futuroscope est lucide. Quand on est numéro 1 d’une boîte de 1 000 personnes, « on est seul » à trancher. Il aime ça. Passe encore lorsqu’il faut titulariser des dizaines de salariés en CDI. Mais à l’heure de mettre en sommeil la locomotive touristique pour cause d’épidémie mondiale... « Les deux années de Covid, ça été violent. Je ne sais pas si elles m’ont fait grandir ou vieillir ! » Ce pur produit de la maison, entré au parc comme on entre dans les ordres, connaît en fait la réponse. « L’âge, c’est un sujet. 46, c’est bientôt 50, ça ne me fait pas rire ».

DRH à 31 ans, directeur de l’exploitation à 36, président du directoire à 41... Son parcours professionnel suinte la précocité. Un trait de caractère assumé. Trois de ses quatre enfants (20, 18, 16 et 8 ans) sont nés à quatre ans d’intervalle. « Il faut faire les choses vite, ne pas perdre de temps au cas où il arriverait un truc dramatique. J’avais des responsabilités ici et c’était rockn’roll. J’aimais ça. » Fils de banquier et d’employée dans un magasin de luminaires, le petit-fils de maraîchers a grandi dans l’idée que « plus c’est dur plus on est méritant ». Alors il trime et ne compte pas ses heures. A l’excès ? « Sans doute, mais ça va mieux », dit-il dans un sourire entendu. 

Légitime par les actes

Au dehors, Rodolphe Bouin renvoie l’image d’un dirigeant à la cool, plus adepte du jeans-baskets que du costume trois-pièces. Il a bien essayé de « mettre des souliers vernis » avant la crise sanitaire, sans donner suite. De la provoc’, comme certains ont pu le penser ? « Pas du tout, jure l’intéressé. Je n’ai pas changé de comportement, pourquoi je changerais de tenue vestimentaire ? Je suis issu de la base, j’ai commencé aux attractions avec les hôtes et hôtesses d’accueil et ça m’emm... qu’ils puissent penser que j’ai basculé sur autre chose. La légitimité, on l’acquiert par les actes. » Va pour le style décontracté et la retenue en public. L’exact opposé de son prédécesseur Dominique Hummel. 

Le dirigeant fait dans la sobriété et l’efficacité. Il n’a créé un compte Twitter que parce qu’on lui a demandé. Pragmatique, « au service de l’institution », il cultive une certaine idée de la fidélité et une irrépressible envie de liberté. Que la Compagnie des Alpes lui accorde du reste. S’il devait comparer son comité de direction à une équipe de foot, Rodolphe Bouin se placerait volontiers en libéro, « avec des chefs de projet en attaquants pour la mettre au fond et mon directeur administratif et financier dans les buts ». Son cœur de Maritime penche cependant en faveur du Stade rochelais, auquel il est abonné. Le rugby, un sport dur où on prend des coups, où tout se mérite. Ça colle à sa personnalité. Un ballon dédicacé par le sélectionneur du XV de France trône en bonne place dans son bureau.

« Pour me prouver quelque chose »

Aussi impassible à l’extérieur que bouillonnant à l’intérieur -« je râle tout le temps ! »-, Rodolphe Bouin reconnaît davantage être un adepte du « blanc pur et du noir foncé » que du gris qui « le gonfle ». Il est « connu pour ça ». Ses cinq marathons bouclés procèdent de cette logique. « Je ne cours pas pendant un an et je m’y mets dix semaines avantJe fais sans doute ça pour me prouver quelque chose, me regonfler à bloc d’un point de vue confiance. » Histoire de s’aérer la tête, le président de l’Institut d'administration des entreprises (IAE) de Poitiers se laisse aussi parfois aller à des orgies culinaires. « Je vais chercher 40kg de viande et je fais des bocaux de bœuf bourguignon à la chaîne. Dans l’excès, sinon c’est pas drôle ! »

Le boss du Futuroscope parle clair et sans filtre, jusqu’à évoquer son rapport à l’argent un tantinet contrarié. « Mes parents ont très vite divorcé : pour ma mère, c’était galère sur le plan financier. L’argent, il en manquait un peu. Mais c’est une chance, ça forge... » Forcément, pour l’avoir vécu, il s’indigne que « des personnes aient du mal à boucler les fins de mois ». Le ton se fait plus grave. Impossible équation pour celui qui est arrivé en haut de l’échelle à l’école de la méritocratie. Comme son père avant lui... Le spécialiste de la gestion et du marketing n’en tire aucune gloire personnelle, évoque encore « l’institution au-dessus de tout ». La pudeur affleure... mais le vernis (pas des souliers) craquelle à l’heure d’évoquer celles et ceux qui ont jalonné son parcours. Ils sont un paquet à porter le même maillot du Futuroscope toute leur carrière. « Au mercato, ce sont les joueurs que j’admire le plus », conclut le patron, son quatrième café à la main. What else ? 

 

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