Gilles Perret, à la rencontre des Gilets jaunes

Ce mercredi sort en salles J’veux du Soleil, le dernier documentaire de Gilles Perret, à la rencontre de plusieurs Gilets jaunes. Le réalisateur engagé de La Sociale ou encore L’Insoumis l’a présenté en avant-première le 20 mars dernier au cinéma Le Dietrich, à Poitiers. Entretien.

Steve Henot

Le7.info

Gilles Perret, qu’est-ce qui a motivé le tournage de « J’veux du soleil » ?
« François Ruffin et moi habitons tous les deux en province. Par curiosité, on est allé voir ce qui se passait sur les ronds-points, dès les 17 novembre, et on a continué à y aller les samedis suivants. Le reflet qui était donné de ce mouvement par les éditorialistes parisiens des grandes chaînes d’info n’était pas du tout ce que nous vivions sur le terrain. On s’est évertué à salir ce mouvement en le traitant de tous les noms : facho, raciste, antisémite… C’était juste horrible. Alors on s’est dit qu’on allait raconter une autre histoire que celle-là. On est parti dans ce road-trip de manière assez spontanée et avec l’envie de ne pas passer à côté de ce mouvement. »

Est-ce le caractère inédit de ce mouvement qui vous a interpellé ?
« Cela fait un moment que je suis dans les mouvements militants, mais on n’avait encore jamais rien vu de pareil. Cela fait vingt ans que l’on se dit que les pauvres ne disent rien, ne se révoltent pas et restent la tête baissée… Donc le jour où ils lèvent la tête, il faut y aller, voir ce qu'il se passe ! Et on n'y va pas avec distance, mépris ou arrogance. On va voir et rencontrer des gens. On savait que c’était, que c’est un moment important pour l’Histoire de France. Ça marque un coup d’arrêt à la politique de Macron, ça fait découvrir de nouvelles personnes dans l’espace médiatique. Il y aura un avant et un après. »

Qu’avez-vous souhaité montrer à travers ces portraits de Gilets jaunes ?
« On est allé à la rencontre de ces gens-là, à la fois sur les ronds-points et chez eux. On a surtout essayé de faire un film, dans lequel on rigole, on pleure, on s’énerve… C’est surtout un film humain sur comment on fait de la politique à partir de l’intime. Ces gens, qui se sont désintéressés de la politique, se sont éloignés de toutes ces questions-là, sont devenus hyper politiques. On dit que c’est un mouvement apolitique, mais c’est un mouvement très politique. Ensemble, ils parlent de projets de société, de l’impôt, du partage des richesses, de la Constitution, du référendum, des questions environnementales... Ça me satisfait d’autant plus que l’on retrouve des revendications qui sont à la gauche de la gauche, finalement. Mais ça ne se fait pas par une carte politique, par une étiquette, mais par l’intuition, de savoir ce qu’est le vivre ensemble. »




Estimez-vous que les journalistes ne sont pas suffisamment allés au contact des Gilets jaunes ?
« Je ne mélange par les journalistes de terrain avec les éditorialistes. Je pense qu’il y a des tentatives qui ont été faites par des journalistes, mais il faut voir aussi quel créneau on leur laisse. Nous, on avait la chance d’avoir toute liberté, de ne devoir rien à personne. Et du temps aussi, ce que les journalistes n’ont pas pour la plupart. Ce sont souvent des précaires donc ils n’ont pas trop intérêt à la ramener si ce qu’ils ramènent n’est pas conforme à ce que leur direction attend. Je ne mets pas tout le monde dans le même panier. Le seul regret que je peux avoir, c’est de voir que des journalistes se sont faits bousculer sur le terrain par les Gilets jaunes, parce que les éditorialistes ont fait un sale boulot. Malheureusement, ce sont eux qui prennent les coups. Les journalistes devraient s’en prendre à leur direction et non pas aux gens qui les bousculent. »

Comment avez-vous été accueilli sur les ronds-points ?
« On avait deux handicaps sur le papier : François Ruffin est député LFI et moi, j’avais une caméra. Donc, c’était pas top. On pensait qu’on allait se faire jeter sur 30% des ronds-points, mais ça aurait fait partie du jeu… Au final, on a été super bien acceptés partout. Il y a juste eu deux fois où c’était chaud parce que je faisais le choix de filmer dès qu’on arrivait sur les ronds-points. Comme méthode, ça peut paraître un peu dur donc je comprends cette réaction. Mais en trente secondes, c’était réglé. Tout le monde ne connaissait pas François Ruffin, mais il y avait toujours des gens qui l’avaient déjà vu. Et puis, ce n’est pas le député qui arrive en costume. Sa voiture est pourrie, j’ai une petite caméra, sans preneur de son… On arrive pour les écouter et certainement pas pour asséner des choses. »

Quel est votre regard sur le mouvement, après quatre mois de mobilisation ?
« Le film n’est pas une synthèse du mouvement des Gilets jaunes et je ne suis pas le mieux placé pour analyser cela. Tout ce que je vois, et là où je suis admiratif, c’est de voir la force qu’ils ont eu pour traverser l’hiver. Ca, il ne faut pas l’oublier. Le mouvement est loin d’être terminé dans les têtes, dans les esprits. C’était inespéré et c’est incroyable d’avoir tenu toutes ces semaines dehors, dans le froid. Ce sont des costauds ! Les plus costauds sont restés, mais ils y ont laissé de l’énergie, du temps et, à un moment donné, il faut retourner bosser. Certains interlocuteurs ont perdu leur boulot parce qu’ils étaient Gilets jaunes. Ça, c’est dur. Ceux qui viennent nous voir dans les salles ont une détermination folle, n’ont plus grand-chose à perdre. Et ils ont une naïveté politique dans leur combat, qui leur fait penser qu’ils vont gagner à la fin. Cela perdure beaucoup dans les témoignages que l’on a dans les salles. »

« J’veux du Soleil » (1h16) est diffusé tout le mois d’avril au Dietrich. Programmation complète sur le-dietrich.fr

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