Feu d’artiviste avec Emma Crews

Emma Crews. Presque 40 ans. Née en Ecosse, inconditionnelle de Poitiers. Optimiste, tenace et féministe au nom de l’égalité. Met l’art au service de l’action.

Claire Brugier

Le7.info

« Si ça vous dit de m’accompagner pour cacher des clitoris, rendez-vous au parc Blossac. » Il n’y a sans doute qu’elle pour lancer ce genre d’invitation improbable. Irrésistible. Seulement voilà, le jour dit, il pleut des hallebardes sur Poitiers. Alors…  « C’est parfait pour moi, j’adore la pluie ! » Certes Emma Crews est Ecossaise, elle a grandi en Angleterre dans le Nord de Londres et elle arbore un bonnet à oreilles à l’épreuve du temps, mais surtout elle ne semble craindre ni la pluie, ni la vie. « Je suis mon chemin, je crois beaucoup à la chance, je ne suis pas tombée à Poitiers par hasard ! »  Les yeux pétillent, les mots jaillissent, les phrases se succèdent, spontanées, sincères. Les projets, les époques, les rencontres, tout se croise et s’entrecroise jusqu’à ce Chemin des clitoris cachés qu’elle a imaginé dans Poitiers, sur les traces de femmes qui en ont fait et font l’histoire. « C’est mon projet préféré ! » (*) annonce l’artiste, fière de l’installer « dans [sa] propre ville ».

Quitter un jour Poitiers ? Elle n’y pense même pas. Depuis dix ans elle y construit sa vie. « Je me sens de plus en plus Française», glisse, du haut de ses « presque 40 ans », cette fille aînée d’un professeur de géographie et d’une directrice de centre pour pédophiles, installés depuis presque vingt ans à Ruffec. « Mes pauvres parents… » sourit-elle, les imaginant parler clitoris ou prostitution avec leurs voisins et amis. A cause d’elle. Son grade de Chevalier des arts et lettres, en 2019, les aura sans doute rassurés. Quoique, en creusant un peu, ils ne sont pas innocents dans l’engagement qui embrase leur fille depuis toujours. Ils lui ont transmis cette ouverture viscérale aux autres en lui offrant un tour du monde à 14 ans (sa cadette en avait 13) ; ils lui ont transmis le féminisme, le goût de l’art aussi.

« Tes pièces sont tellement barrées… »

Emma a débuté par la danse dès 4 ans, trois à cinq fois par semaine, portée par sa grand-mère ballerine qui lui a offert cours et pointes.  « Elle avait dansé avec Margot Fonteyn, Ninette de Vallois… », dépeint sa petite-fille avec admiration. A 16 ans, l’adolescente enchaîne avec la danse contemporaine, le théâtre. Ses premiers cachets de comédienne lui ouvrent les portes d’un poste de directrice de l’événementiel. Emma a semble-t-il suivi le conseil d’un prof de théâtre qui l’avait gentiment mise en garde. « Tes pièces sont tellement barrées que si tu veux continuer dans cette voie, il te faudra un vrai métier à côté. »

Quelques années plus tard, toujours dans l’événementiel, elle démissionne. « L’environnement était tellement sexiste », insiste-t-elle dépitée. Elle rencontre alors un Français, pose ses valises à Poitiers, découvre la condition des prostituées nigérianes en rentrant le soir du conservatoire, avenue de la Libération. Emma s’engage à leurs côtés, beaucoup, sans doute un peu trop.

« Je veux rire et sourire avec mes enfants. »

La maman d’Alice, née l’an dernier, et d’Abel, 3 ans, agirait sans doute différemment aujourd’hui. « Je veux rire et sourire avec mes enfants, je veux être une maman joyeuse. M’occuper des femmes victimes de la traite m’a cassée. Mais quand je fais un truc, j’ai tendance à le faire à fond. » Souvent fantasque dans la manière, Emma est très sérieuse dans le dessein. Elle est de bien des causes. Elle est celle qui dessine des cœurs sur la mosquée de Poitiers quand elle est salie par des tags haineux, elle est celle qui arbore un « Femen pas FN » sur sa poitrine pour dénoncer l’appropriation de la figure de Jeanne d’Arc par le parti extrémiste… Evidemment, elle participe à la création des Ami.e.s des femmes de la Libération.

Et puis, un jour de déprime, elle a l’idée d’une Clitoris Party, pour sensibiliser à l’excision et à cette traite des femmes qui la fait souvent pleurer au fond de son lit. Les projets se succèdent. Ces dernières semaines, pour les vidéos qui seront diffusées lors de l’exposition « L’Amour fou » (5 mars-13 juin) au musée Sainte-Croix, elle s’est coupé les cheveux pour incarner Jean Marais. Elle ne fait jamais les choses à moitié. Et pour garder l’équilibre dans ce monde de causes à défendre, Emma a sa famille, le sport, le bien-manger, la culture… Et, plein la tête, ces envies artistiques qui mettent « l’art au service de l’action », au point qu’elle se sent aujourd’hui « plus artiviste qu’artiste ». Optimiste par nature, elle croit déjà percevoir des changements. « On entend de plus en plus des voix de femmes et en faveur de l’écologie, l’envie des mères. » Quoi qu'il arrive, ne rien lâcher. « C’est très facile de fermer une porte, mais alors je continue de frapper ou je frappe à la porte à côté. »

 

(*) Le Chemin des clitoris cachés pourraient être dévoilé début mars, à l’occasion de la Journée international des droits des femmes.

À lire aussi ...