Guermantes, pour le plaisir

Alors que les dates de son dernier spectacle sont annulées du fait de la pandémie, Christophe Honoré invite ses comédiens à poursuivre les répétitions. Le metteur en scène breton tire de ce moment un film bien trop long, mais léger et plein de vie.

Steve Henot

Le7.info

Paris, juillet 2020. Au sortir d’un confinement inédit, le secteur de la culture est en proie aux incertitudes. Sans que l’on sache encore si les théâtres rouvriront leurs portes à la rentrée, Christophe Honoré décide de reprendre avec la troupe du Français les répétitions de sa dernière pièce, Du Côté de Guermantes, d’après un livre de Marcel Proust. Mais alors qu’il leur reste trois jours à travailler, le metteur en scène invité apprend que les dates du spectacle sont annulées… A quoi bon jouer, alors ? Pour « rien » ?

Non, il était dit que Christophe Honoré en ferait un long-métrage ! Voilà donc Guermantes, un drôle d’objet cinématograhpique, vrai-faux docu saupoudré de fiction. Si le contexte sanitaire est bien présent à l’écran -la crise d’angoisse d’une comédienne, le témoignage d’un soignant- le film ne s’impose pas tant comme un marqueur de ce moment, du point de vue des artistes. Ici, la crise sanitaire est surtout prétexte à montrer au plus près une troupe de théâtre -et pas n’importe laquelle- dans tout ce qu’elle a de vivant, de moteur et de joyeux. Dans les méandres du Théatre Marigny, on voit ainsi les comédiens jouer leur propre rôle : ils répètent, s’enlacent, se désirent aussi, et s’engueulent parfois… La fiction n’est jamais très loin mais la mise en abyme fonctionne justement parce qu’elle fait preuve à la fois d’autodérision et de délicatesse. A travers cet exercice de style, Christophe Honoré célèbre la beauté du geste artistique, du jeu et de la création, cet « essentiel » du métier. De quoi redonner l’envie d’aller voir du théâtre, « en vrai ». A la seule condition, toutefois, de tenir tête à une introduction longue et poussive.

Docu-fiction de Christophe Honoré avec Laurent Lafitte, Florence Viala, Yoann Gasiorowski (2h19).

Yoann Gasiorowski, pensionnaire de la Comédie Française, a dit...
« Quand Le Côté de Guermantes a été annulé, on était comme tout le monde, groggy, effaré. L’idée d’en faire un film s’est inscrit dans la continuité du projet de mise en scène de Christophe Honoré. On l’a pris comme une occasion de se retrouver, dans un moment d’insouciance qui nous sortait de l’ordinaire. On oscille ici entre le documentaire où tout est faux et la fiction où tout est vrai. On est en improvisation, mais tout ça est pensé par Christophe, il y avait des intentions. Par cette mise en abyme, il crée des effets de réel que je trouve intéressants. (…) Je suis assez intimidé de me voir à l’écran. Je remarque que je suis observateur dans le film, très impressionné par les gens qui m’entourent, ce qui me correspond assez. Avec Laurent Lafitte, on a une scène où l’on répète Cyrano, que l’on était d’ailleurs en train de répéter en vrai. Laurent a eu l’idée de jouer sur l’idée du désir, en s’amusant des codes. Jouer est toujours un moment où il faut lâcher prise mais là, on a grossi le trait. (…) Guermantes est un prolongement de la webTV que la Comédie-Française avait créée durant le confinement et à travers laquelle on s’est beaucoup raconté. Ca nous a mené vers un cheminement introspectif qui se poursuit. La troupe se regarde et analyse son fonctionnement. (…) On a été surpris par la déclaration d’amour de Christophe à la troupe. Quand on répétait la pièce, il avait comme une distance, une ironie par rapport à l’institution. Puis il s’est pris au jeu de cette Maison, qui est moins inaccessible qu’on ne veut le penser. Il témoigne d’une vraie gourmandise, d’un désir de théâtre, cette énergie que je sens tous les jours. On vit pour notre art, on est tout le temps en éveil artistique. La troupe n’a jamais été filmée ainsi, avec autant de délicatesse. »

Yoann Gasiorowski vient de reprendre Mais quelle Comédie !, à la salle Richelieu, à Paris. En janvier 2022, il mettra en scène D’où rayonne la nuit au Studio-Théâtre, un impromptu autour du thème « Molière et la musique », en collaboration avec Vincent Leterme.

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