Séverine Denieul : lire, écrire, enseigner

Séverine Denieul. 42 ans. Poitevine. Lauréate du prix de la Bruyère décerné par l’Académie française pour son œuvre Casanova, le moraliste et ses masques. Lectrice compulsive, enseignante-passeuse de savoirs. Signe particulier : a fondé, en 2009, une revue baptisée L’autre côté. CQFD.

Arnault Varanne

Le7.info

Qu’aurait-il pensé de l’époque que nous vivons sous Covid et à distance les uns des autres ? 
S’y serait-il senti à l’aise, lui le séducteur invétéré du 
XVIIIe siècle, tombeur de ces dames -260 conquêtes- et bonimenteur patenté, surtout auprès des puissants ? Séverine Denieul a sa petite idée, elle qui a étudié Casanova et ses « masques », 
au point de lui consacrer une thèse (Casanova, le moraliste et ses masques), couronnée par le prix La Bruyère 2021 de l’Académie française. « Il serait très malheureux du manque actuel de contacts, c’est quelqu’un qui passait son temps dans les cours, estime l’universitaire. Et je ne suis pas sûr qu’il se serait adapté à la civilisation de l’image. Il avait le goût du spectacle, de la mise en scène ! » 
Elle parle d’or... et aussi un peu d’elle-même.

La lecture viscérale

La native de Vouillé devenue prof goûte modérément le monde du tout-écran. Elle n’a ni télé, ni smartphone, encore moins de comptes chronophages sur les réseaux sociaux. Il y a quelques mois, elle a travaillé avec ses élèves de l’IUT de Châtellerault, sur un texte du journaliste américain Nicolas Carr sobrement intitulé « Est-ce que Google nous rend idiot ? ». Succès encourageant auprès des étudiants. « Disons qu’avoir tout dans un seul appareil donne beaucoup de pouvoir. » Son 
« truc » à elle, ce sont les livres, ceux qui émeuvent et vous font voyager dans d’autres univers, vous permettent de revêtir des masques différents. Et aussi de « développer de l’empathie ». Victime d’une rupture sentimentale à l’adolescence, elle s’est par exemple reconnue dans le personnage de Madame Bovary, le roman de Gustave Flaubert. « Alberto Manguel a dit récemment lors d’un colloque à Poitiers qu’il pourrait se passer d’écrire mais jamais de lire. Je me reconnais assez bien ! »

Bercée au doux bruit des pages qui se tournent, Séverine Denieul a longtemps enseigné le français dans des lycées de la région parisienne, aux Ulis notamment. « Ce n’était pas l’enfer sur terre tous les jours, mais c’était quand même compliqué ! » L’enseignement s’est imposé comme une évidence, après une prépa littéraire à Camille Guérin et un cursus à la fac de lettres. La flamme brille toujours, comme celle de la réflexion sur l’évolution du monde. En bonne place dans la bibliothèque familiale -« mon père a fait Mai 68 »-, La Société du spectacle, de Guy Debord, l’a longtemps interloquée. Elle a fini par comprendre tout le sens de cet essai au vitriol sur la société de consommation à outrance. Alors à son échelle, elle résiste même s’il est « très compliqué d’être en retrait total ».



« Résister à l’esprit 
du temps »

A défaut, Séverine Denieul prend la plume pour nourrir la réflexion, les réflexions. La mère de famille, sa fille a 
2 ans, a fondé la revue L’autre côté (editionslautrecote.com), dont la sortie du numéro 5 est pour 2022. En attendant, est paru fin novembre 2021 Les avant-derniers jours de l’humanité, un essai co-rédigé avec son mari Javier Rodriguez Hidalgo et Ander Berrojabilz, consacré à la gestion de la crise sanitaire dans nos démocraties. Y figure par exemple la lettre d’un bibliothécaire de Bondy, atterré qu’on demande le pass sanitaire à l’entrée des bibliothèques municipales et pas à la Bibliothèque nationale de France (BNF). L’autrice dénonce en creux les incohérences des décisions et la 
« tendance forte au renfermement » de ses contemporains. Sûr que le XVIIIe siècle lui aurait plu !

La Poitevine le reconnaît, elle n’a « pas la capacité de détachement » nécessaire pour « résister à l’esprit du temps ». Elle se considère en revanche « efficace » et soucieuse « du travail bien fait ». Le prix La Bruyère 2021 qui lui est quelque part tombé dessus en atteste, même s’il ne fera pas d’elle une célébrité. Et c’est tant mieux, elle qui se repaît de relations sociales fructueuses. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre, disait Pascal. Je suis en phase avec cela. » La saillie de l’écrivain français date d’un demi-siècle avant l’entrée fracassante de Giacomo Casanova dans la société vénitienne. La BNF a fait l’acquisition en 2010 d’Histoire de ma vie, l’autobiographie d’un personnage beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut parfois se méfier des apparences.

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