Morgan Nivelle, la gueule de l’emploi

Morgan Nivelle. 24 ans. Comédien en devenir à Paris, déjà réalisateur de quatre courts-métrages. Entre deux services Chez Bouboule Curling, passe beaucoup de temps à réviser pour le concours du Conservatoire national d’art dramatique. Signe particulier : une personnalité entière et attachante.

Arnault Varanne

Le7.info

Et soudain, il se lève de sa chaise et bondit à l’extérieur de L’Industrie. Une bagnole s’arrête boulevard Blossac, à Châtellerault. Des « potos » du foot passent là par hasard. A peine le temps d’échanger trois mots que Morgan Nivelle est déjà de retour, à table et affable. « Ça me fait plaisir de les avoir revus ! » Avant de se lancer dans une carrière d’acteur, dopé à l’adrénaline du je(u), le gamin de Scorbé-Clairvaux s’est un temps imaginé footballeur professionnel. « Mais je n’ai pas réussi à signer dans un centre de formation, alors je me suis rabattu sur la deuxième option », glisse l’ancien arrière-droit du SOC, époque CFA2. Un dessein raccord avec la promesse faite à sa mère : « Je veux être connu. » 

« On a carte blanche »

Avec son « gabarit de sandwich SNCF », « Momo » joue encore de temps en temps et avec le même engagement. « Pour gagner, quoi. » Mais sa vie parisienne -depuis 2015- lui laisse assez peu de répit. Il taffe un peu, beaucoup passionnément chez Bouboule Curling, un bar à ambiance du 2e arrondissement où le sport favori consiste à « casser des flûtes à champagne sur Volare des Gipsy King ». « On a carte blanche et on l’utilise bien. » La « mafia caennaise » -son copain est Normand- et la diaspora picto-charentalse passent régulièrement une tête là-bas. Et la « jeunesse dorée » commence à fréquenter le troquet.

Quand il n’est pas ambianceur et serveur la nuit, Morgan Nivelle révise son grand oral du Conservatoire national d’art dramatique. Après trois ans au Cours Florent, des castings et des rôles ici où là et quatre courts-métrages, -dont Le Tango des Mohicans présenté au Loft en décembre sur lequel Fanny Ardant prête sa voix- à son actif comme réalisateur, il va tenter, le 22 mars, de franchir les portes de l’ENA des acteurs. 1 800 candidats sur la ligne de départ, 10 élus à l’arrivée. Darroussin, Anglade, Galabru, Rochefort et autre Mocky y ont fait leurs classes. Des acteurs pour certains iconiques qui l’ont fait rêver. Le fils de conseiller commercial et de mère au foyer a découvert les classiques très tôt chez sa grand-mère, dans les Deux-Sèvres. « Elle avait une énorme commode que j’arrivais à ouvrir et des fiches du TV Magazine dans les jaquettes. J’ai vu BorsalinoDeux hommes dans la ville, Les Valseuses... Les Belmondo, Delon, Gabin, Depardieu, Dewaere, j’ai tout de suite adoré leur gouaille, leur présence. »

« Au fond, ils ne savent plus se dire je t’aime »

Parce qu’il a viscéralement envie de « faire l’acteur », parce qu’il n’a pas froid aux yeux aussi, Morgan Nivelle s’approche au plus près de tous ceux qui peuvent lui entrouvrir les portes de ce métier si sélectif. Au culot. Gamin, il a fait le pied de grue à L’Isle-sur-la-Sorgue pour proposer des textes à Renaud. Plus tard, rebelote avec Vincent Lindon à la terrasse du Flore. « Je crois qu’il a eu peur de moi ! » Pas « le gros Gérard (Depardieu) », en revanche, enclin à le rencontrer et pas avare de tuyaux sur le milieu. Le Châtelleraudais considère aussi Olivier Marchal comme « un second père ». Les deux « hypersensibles » échangent régulièrement par texto et Morgan projette de faire tourner l’ancien flic. « Ce serait l’histoire d’un père et de son fils qui ne se sont pas parlé depuis trois. Le fils perd son permis et le seul mec qui peut l’aider pour faire son chauffeur, c’est son père. Au fond, ils ne savent plus se dire je t’aime. » Si le long-métrage aboutit, il aura le Châtelleraudais pour décor. Morgan est très attaché à ses racines, à ses « deux premières vies » ici. A son « enfance heureuse » à Scorbé « jusqu’en CM2 », a succédé une période plus trouble sur fond de séparation de ses parents. L’apprenti footeux s’est réfugié dans l’écriture, d’histoires, de poèmes... « Libérateur » à l’en croire. Reste que les cicatrices de la vie ne s’effacent pas d’un coup de baguette magique. Et sa troisième vie à Paris est censée lui permettre de « retrouver de l’insouciance. C’est simple, je suis passé de l’enfance à l’âge adulte ».

Sur un fil 

A l’instar de Docteur Renaud et Mister Renard, il y a « Momo » et « Morgan ». Très « manichéen » et « excessif », le comédien peut passer des semaines sans boire une goutte d’alcool, puis beaucoup, beaucoup picoler le lendemain. Ça a failli lui coûter cher en marge de la foire de Lencloître 2020, avec quatre tonneaux en voiture et un pote pas attaché expulsé par le toit panoramique. C’est ce vécu, ses cicatrices et son « envie de jouer à crever » qui le poussent à redoubler d’efforts pour se faire remarquer. Avec cette ambivalence et cette lucidité rares. « Je suis à la fois persuadé d’être le meilleur acteur de ma génération et, en même temps, j’ai un gros problème de légitimité. Je passe ma vie à nettoyer des verres et à servir des gens... »

Son court-métrage La meilleure façon de Beaumarchais commence précisément dans un bistrot, où « Lucas » découvre une lettre de refus du Conservatoire national d’art dramatique. Il a commandé un double scotch et un jus de tomate, s’est enfilé le premier cul sec... « Je passerai le boire (le jus de tomate, ndlr) l’année prochaine si j’ai encore soif », lance-t-il bravache au serveur. Rendez-vous est pris.   

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