[Il était une foi] Orthodoxes, retour aux origines

Chaque semaine, des milliers de Poitevins se retrouvent autour de croyances communes, souvent éloignées des trois religions monothéistes bien connues. Cette série part à leur rencontre. A Poitiers, deux communautés orthodoxes coexistent sereinement depuis plusieurs années.

Romain Mudrak

Le7.info

C’est un dimanche matin comme les autres à l’église orthodoxe de la Trinité Saint-Hilaire. Une trentaine de fidèles se sont donné rendez-vous. Beaucoup sont originaires d’Europe de l’Est ou du Moyen-Orient. Quelques enfants s’amusent en silence ou dessinent au fond de la salle. Des tapis recouvrent le sol. Sur les murs, des icônes peintes représentent des saints de diverses nationalités. La croix orthodoxe figure en bonne place. Semblable à celle des catholiques de Rome, elle possède des traverses supplémentaires en haut et en bas dans un but symbolique. Le Christ n’est pas représenté dessus en revanche, il apparaît au fond du chœur et contemple l’assemblée. Les prières préparatoires sont scandées en boucle par une voix féminine. Et pendant la liturgie, le prêtre est le plus souvent dos à l’assemblée. « En fait, il se met face à l’Orient, là où Dieu s’est incarné sur Terre, précise Joseph Abinader, marguiller, autrement dit président de l’association de la Trinité Saint-Hilaire, basée avenue de la Libération, à Poitiers. Il est mandaté pour porter la prière du peuple. Jusqu’en l’an 1 000, toutes les Eglises en communion faisaient pareil. »

Enterrements en blanc

1054. La rupture est devenue irréversible entre les catholiques d’Occident et d’Orient. Les raisons sont nombreuses, complexes et liées à des considérations aussi bien liturgiques que politiques sur lesquelles nous ne reviendrons pas. C’est à cette époque que naissent d’un côté l’Eglise de Rome avec son Pape, de l’autre les Eglises orthodoxes dirigées par différents patriarcats. Aux nouveaux canons que tentent d’imposer la première, les secondes préfèrent les rites primitifs. Le baptême s’effectue par exemple par trois immersions totales pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit. « Les messes d’enterrement se déroulent en blanc avec des chants d’espoir car le Christ ressuscité est davantage glorifié que l’idée de la crucifixion », assure le père Dominique Michaud, prêtre de l’Eglise catholique orthodoxe de France. C’est l’autre communauté de croyants de Poitiers. Son siège se situe au sein de l’église Saint-Savin-Saint-Cyprien, rue Emile-Faguet à Poitiers (lire ci-dessous). Ici, les deux associations ont des activités bien distinctes, mais ses membres s’apprécient et se retrouvent même parfois pour des événements en commun comme les fêtes paroissiales.

HISTOIRE
Deux communautés à Poitiers

L’ancienne église Saint-Savin, située rue Emile-Faguet, a été acquise par la communauté orthodoxe de Poitiers à la fin des années 1970. C’est à partir de cette date qu’ont débuté des offices réguliers. A l’époque, il n’existait ici qu’une seule obédience connue sous le nom de l’Eglise catholique orthodoxe de France (ECOF). Au plan national, l’ECOF a rompu avec le patriarcat de Moscou depuis de nombreuses années, lui préférant la protection canonique du patriarche roumain. Une situation qui perdure jusqu’en 1993, date à laquelle elle est devenue « autocéphale ». En parallèle, une autre communauté de tradition russe est apparue en 1987 sous l’impulsion du père Michel Evdokimov, professeur de littérature comparée à l’université de Poitiers. Elle a pris plus tard le nom de Trinité Saint-Hilaire. Au milieu des années 1990, Mgr Rouet, archevêque de Poitiers, a proposé à celle-ci de prendre possession de l’église du XIXe siècle, située avenue de la Libération, qui ne servait plus à personne. Ce groupe est rattaché à l’exarchat de l’Eglise russe en France (Mgr Jean de Doubna) basée à l’Institut de théologie Saint-Serge à Paris, qui se place sous la bénédiction du patriarche de Moscou, tout en disposant d’une réelle autonomie.


Les orthodoxes et la guerre en Ukraine
Dans la communauté orthodoxe poitevine, chacun a son avis sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais à l’intérieur de l’église, les problèmes du monde ne doivent pas interférer. « On prie pour tout le monde, pour nos ennemis et ceux qui nous haïssent », commente Joseph Abinader, marguiller de la Trinité Saint-Hilaire. Quid du rattachement de cette communauté de tradition russe au patriarcat de Moscou ? « Nous ne sommes pas obligés de soutenir la politique russe. Nous prions avant tout pour que la paix revienne. »

ARTS
Culture iconique

L’orthodoxie fait la part belle à l’iconographie. Les portraits de saints auréolés d’or figurent un peu partout dans les lieux de culte. Ceux peints sur les murs de l’église de la Trinité Saint-Hilaire sont l’œuvre de l’Atelier Saint-Jean Damascène dans la Drôme. Une référence dans le genre. « L’icône a vocation à réunir les êtres, à briser barrières et frontières. Là se retrouvent chrétiens de toute confession pour chanter Dieu en couleur ! », peut-on lire sur le site Internet de l’atelier. « Ici, on a choisi de représenter des saints de toutes les nationalités, symboles de la communion des croyants », précise le marguiller Joseph Abinader. Du 5 au 10 juin, le père Jean-Baptiste Garrigou, iconographe, fresquiste et mosaïste renommé, viendra à Poitiers pour continuer l’œuvre inachevée.

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