L'autre regard de Rémi Chayé

Rémi Chayé. 52 ans. Dessine depuis son enfance poitevine. A découvert le milieu de l’animation à Angoulême, dans les années 1980. S’épanouit dans la réalisation de films pour jeune public, tous salués par la critique. Tient à proposer aux enfants des modèles alternatifs.

Steve Henot

Le7.info

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est de ces films dont l’exploitation a été stoppée nette par le reconfinement du 29 octobre. Une nouvelle que son réalisateur, Rémi Chayé, a évidemment accueilli « avec tristesse », seulement quinze jours après la sortie en salles. « Les entrées commençaient à grimper pendant les vacances, on espérait beaucoup. » Aussi, le cinéaste aurait dû être du 43e Poitiers Film Festival, pour une masterclass et une table ronde dédiées à son second long-métrage. Annulées. Le natif de Poitiers se console néanmoins avec les belles rencontres faites lors de la tournée promo.
« J’y ai pris plein de bonnes énergies. A Montreuil, des gamins ont fait un pogo sur la chanson du générique de fin, raconte-t-il. J’ai aussi découvert le monde des exploitants, des gens qui connaissent leur public et font un boulot de fou, notamment dans les quartiers… Ce sont eux, les passeurs d’image. »


L’accueil critique -unanime- de Calamity est une source de réconfort supplémentaire pour Rémi Chayé, et la récompense de cinq années de travail (entre 50 et 60 000 planches !). L’idée de ce film lui est venue après le visionnage d’un documentaire consacré à Calamity Jane, cette grande figure féministe qui voulait être l’égale des hommes. « Je cherchais un sujet qui questionne le genre. » Avec son équipe, ils ont ainsi imaginé l’enfance de Martha Jane Cannary -son nom complet- sur les routes de l’Oregon, une jeune fille qui ne tient pas en place, volontiers bagarreuse et au verbe grossier… Assez éloignée des codes. « J’avais envie de dire aux enfants que l’élégance ne vient pas avec les gènes. « Il n’y a pas de garçons manqués, il n’y a que des filles réussies. » La formule n’est pas de moi, mais je la trouve juste. C’est important d’avoir une multiplicité de modèles. »


Une enfance sans télé

Une manière de ne pas « prendre les enfants pour des idiots », tout en piquant l’intérêt des parents, selon l’artiste de 52 ans. « J’ai du respect pour ce public. Les gamins comprennent très bien les scénarios et savent mettre le doigt où ça fait mal. » A cet égard, le papa d’un petit garçon de 6 ans dit s’inspirer des studios Ghibli, et leurs contes populaires. « C’est LE modèle, celui qui domine le monde de l’animation, avec de grands noms tels qu’Isao Takahata, Hayao Miyazaki… J’ai pris une grande claque quand j’ai vu Princesse Mononoké. » Et comme les maîtres japonais, il défend l’animation traditionnelle, faite à la main. Persévérer dans ce savoir-faire relève presque de l’acte militant. « La 3D devient le standard. Ça nous pose problème car la 2D fait l’effet de quelque chose d’ancien sur les enfants, comme le noir et blanc. En adaptant certains de ses classiques en films tout en images de synthèse, Disney a laissé entendre que ce style d’animation peut être abandonné. Or, ce qui intéresse les gamins, c’est une bonne histoire et pas le graphisme. »


Faute de télévision à la maison, Rémi Chayé n’a découvert les dessins animés que très tard. Lui grandit plutôt dans la musique classique. Ancien prof de mathématiques à Camille-Guérin, son père a dirigé la chorale universitaire tandis que ses sœurs ont fait le conservatoire. Rémi, lui, apprend la guitare, la trompette ou encore le piano… Et dévore les bandes dessinées de la bibliothèque municipale. Il dessine déjà. « Beaucoup. » L’année de ses 18 ans, il convainc ses parents de le laisser partir à Paris. « J’ai quitté maths sup en dessinant », sourit ce client fidèle de La Belle Aventure.


« Les injustices me révoltent »

A la capitale, il vit de petits boulots d’illustrateur. Jusqu’au jour où des amis l’invitent à les rejoindre en studio, à Angoulême. C’est là qu’il découvre le monde de l’animation jeunesse, « parmi une bande de joyeux drilles ». « C’était vivace, se souvient-il. On te mettait là où tu es fort. Des gens comme Philippe Mest m’ont formé sur le tas. » Il rejoint ensuite La Fabrique, « studio mythique », notamment en tant qu’artiste lay-out sur L’Île de Black Mór. Long-métrage qu’il est allé supervisé… en Corée du Nord ! « J’étais dans un hôtel avec un traducteur, un guide, et des portraits de Kim Jong-Il sur les murs. On n’avait pas le droit d’y afficher des dessins. Ce pays présente plein d’absurdités totalitaires de ce type mais ce sont aussi des humains qui souffrent, conditionnés et ignorants de ce qu’il se passe ailleurs. Toucher ça du doigt, c’est passionnant et assez fou. »


Après d’autres voyages en Asie, Rémi Chayé décide de reprendre les études et intègre à 35 ans l’école du film d’animation de la Poudrière, à Valence, où il signe trois courts-métrages. Il consacre les années suivantes (onze !) à la réalisation de son premier long, Tout en haut du monde. Le film remporte le Prix de la Fondation Gan au cinéma en 2013 et le Prix du public au festival international du film d’animation d’Annecy en 2015. Rémi Chayé y affirme sa « patte », lumineuse et sans contours, qu’il perfectionne ensuite dans Calamity. Installé à Meudon, en région parisienne, il planche déjà sur son prochain projet : l’histoire d’une jeune fille qui, par la chanson, se sort de la misère des bidonvilles de Paris, au début du XXe. Avec encore des choses à dire. « Le dessin animé est la seule manière dont j’ai envie de m’exprimer, dit-il d’abord. La politique me passionne, je m’informe beaucoup. Toutes les injustices me révoltent, j’ai un fort sentiment d’incompréhension face à ça. On devrait tous se battre pour l’équité et la justice sociale. » 


DR - Maybe Movies

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