La violence entre des adolescentes qui s’est récemment exprimée devant le collège Rabelais doit-elle être considérée comme un fait isolé ou la manifestation de tensions exacerbées par le contexte actuel ? Tentative de décryptage.
Que dit un fait divers comme celui survenu fin mars devant le collège Rabelais de Poitiers : une jeune fille qui en agresse une autre avec un couteau, en frappe une troisième ? Pour la rectrice Bénédicte Robert, il s’agit d’un « acte isolé ». Reste qu’un tel degré de violence « a surpris tout le monde », confie Pierre Alix, le représentant des principaux de collège du SNPDEN 86. Depuis septembre, 250 incidents ont été signalés dans la Vienne, un chiffre à relativiser qui engloble les cas de Covid. « Il n’y a pas d’explosion de situations conflictuelles », rassure Arnaud Leclerc, qui coordonne le pôle Valeurs de la République.
Chez les enseignants poitevins, ce constat étonne. Au collège Jules-Verne, à Buxerolles, la situation ne s’est pas apaisée depuis le débrayage de novembre qui visait à dénoncer une recrudescence de violences dans l’établissement. Malgré la cellule d’écoute mise en place par le rectorat et les promesses de la direction académique, « il n’y a pas eu un seul conseil de discipline depuis », déplore Matthieu Thibault, professeur et délégué Snes-FSU. « Cinq enseignants sont en arrêt pour cause de burn-out à la suite de conflits avec des élèves. » Les protocoles sanitaires successifs n’arrangent rien, ajoutant « de la règle à la règle » jusqu’à saturation. « Au collège, on sent un climat très tendu, avec plus de conflits à la récréation. Les élèves n’arrivent plus à bien communiquer, les tensions montent très vite et on en observe la prolongation sur les réseaux sociaux », note Anne Morand, déléguée du Syndicat des infirmiers éducateurs en santé (SNIES). Au lycée, la morosité prédomine, selon Sandrine Norman, infirmière dans deux lycées poitevins. « Nous avons observé une hausse de 12% des prises en charge d’écoute. On ne fait plus du tout de bobologie, notre métier est en train de changer. »
Passages à l’acte
« L’atmosphère est très insécurisante, a fortiori pour les adolescents, atteste le Pr Ludovic Gicquel. D’ordinaire, l’adolescent peut s’appuyer sur des éléments solides, sa famille, ses amis, ses professeurs… Toutes ces digues, qui d’habitude se pondèrent mutuellement, sont mises à mal par le contexte actuel. » Le chef du Pôle universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU de Poitiers en observe les conséquences. « En temps normal, 8 à 12% des ados ne vont pas bien et 88 à 92% s’en sortent cahin-caha, sans exprimer une souffrance symptomatique ou un passage à l’acte suicidaire. Or, actuellement, aux urgences, nous sommes confrontés à des tentatives de suicide graves mais aussi à des patients totalement inconnus de nos services qui décompensent. » La logique est implacable. « Actuellement, non seulement l’ennemi est invisible, mais l’épidémie fait porter à l’autre une partie du danger, ce qui est contraire aux interactions propres à l’adolescence. »
Ce n’est pas un hasard si, à l’initiative des élèves et enseignants, le lycée Victor-Hugo expérimente depuis septembre un dispositif « délégués du bien-être », aujourd’hui appelé à essaimer dans l’académie. « Parfois, il peut être plus simple pour un élève de parler à quelqu’un de son âge, explique Arnaud Leclerc. Le but n’est pas de faire de ces délégués des éponges mais qu’ils soient des porte-parole. »