Le paradoxe du parcours infirmier

D’un côté, des infirmières lasses de leurs conditions de travail, de l’autre la première filière de formation demandée sur Parcours Sup. Derrière ce paradoxe apparent se cache une réalité très humaine.

Claire Brugier

Le7.info

Les chiffres sont là, irréfutables : les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) concentrent cette année encore 10% des demandes sur Parcours Sup. Malgré la crise, malgré des conditions de travail dégradées, malgré les témoignages de titulaires exsangues, la formation infirmière reste la plus demandée.

La commission d’examen de Poitiers, qui englobe sept Ifsi dont celui du CHU, a enregistré 5 436 demandes en 2021, contre 
5 238 en 2020. « Les lycéens ont extrêmement envie d’œuvrer pour les autres. La crise a mis en avant le métier et, au-delà des soins, l’engagement auprès du patient », souligne Thomas Hostettler, de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers.

La désillusion peut venir après, lors des études. Entre la 1re et la 3e année, 25% des élèves abandonnent. Pas Juliette, 21 ans, en 2e année, et ce en dépit d’un premier stage annulé pour cause de confinement et un second chaotique. « J’ai toujours voulu aider les gens. Je n’aime pas le terme de vocation, qui voudrait dire que l’on est prêt à tout accepter. Au-delà des aspects soins et relationnel du métier, je suis très attachée à l’hôpital public. Certes il va mal mais j’ai envie de contribuer à le faire fonctionner. Et puis, infirmière est un métier qui permet de travailler dans plein de services différents. Et, où que l’on aille, on trouvera toujours du travail. »

« Je ne m’attendais 
pas à ça »

Les étudiants qui persévèrent restent en moyenne entre cinq et sept ans dans la profession. La déperdition, toujours importante, est difficile à chiffrer aujourd’hui, mais « énormément de personnes nous contactent car elles veulent démissionner ou prendre une dispo, constate Sandrine Bouichou, vice-présidente de la Coordination nationale interprofessionnelle. Et ce sont aussi bien des jeunes diplômées que des personnes plus anciennes dans la profession. Certaines ne se retrouvent plus entre ce qu’elles ont appris et le terrain, où on leur demande d’être beaucoup moins exigeantes. D’autres ne se retrouvent plus dans l’institution en elle-même. »

Elodie, 31 ans, a tenu huit ans. Aujourd’hui, l’infirmière songe à une reconversion. D’un naturel empathique, elle savait dès le lycée que le métier lui correspondrait. « Et cela me correspond toujours », lâche-t-elle, émue. Elle est entrée en formation en 2009, à 19 ans. « Je m’attendais à arriver dans le monde adulte mais je ne m’attendais pas à ça. Les études médicales en général sont maltraitantes, alors j’ai relativisé. » En 2013, elle a intégré les rangs des quelque 
2 100 infirmiers du CHU. Une fois encore, « je ne vis pas dans le monde des Bisounours, mais je ne m’attendais pas à ça, au turn-over, à revenir sur les arrêts des autres, sur des jours de repos, des week-ends, comme si c’était la normalité parce que l’on est en permanence en sous-effectif ». Elodie s’est arrêtée une première fois en 2016. Motif : épuisement professionnel. « Pourtant, j’étais convaincue que cela ne pouvait pas m’arriver car j’aimais ce que je faisais. » A son retour, elle a demandé à changer de service. « Je me suis engagée syndicalement, j’ai essayé de faire remonter les choses… » Jusqu’à un nouvel arrêt. Désormais, le rejet est physique, malgré « les belles histoires » avec les patients et leurs familles. « Personnellement, j’ai « sacrifié » ma première fille, je ne veux pas faire pareil pour la deuxième. Et je ne leur recommanderai pas de faire ce métier. »

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