Sœurs, histoires mêlées

Trois sœurs retournent en Algérie au chevet de leur père mourant qui, trente ans plus tôt, avait enlevé leur frère. Yamina Benguigui s’inspire ici de sa propre histoire pour raconter un drame familial dense, étroitement lié à l’histoire du pays.

Steve Henot

Le7.info

Il y a trente ans, Zorah, Nohra et Djamila ont fui leur Algérie natale, avec leur mère, pour échapper à un père tyrannique et violent, traumatisé par la guerre. Zorah, l’aînée, garde en elle la culpabilité de n’être pas parvenue à emmener leur jeune frère, Rheda. Hantée par ce souvenir, elle met en scène son histoire familiale dans une pièce de théâtre, ce qui n’est pas du goût de sa famille et ravive les non-dits. Alors qu’elle finalise ce projet, Zohra reçoit un appel d’Algérie l’informant que leur père est mourant. Les trois sœurs décident donc d’aller à sa rencontre, dans l’espoir qu’il leur révèle enfin où se trouve leur frère. 

Comme le personnage de Zorah (formidable Isabelle Adjani, sur un fil), Yamina Benguigui se prête ici à l’exercice de l’auto-fiction. Sœurs, son second long métrage, s’inspire en effet de son histoire -ses deux frères cadets avaient été emmenés en Algérie par son père- pour relater le combat de trois femmes, sœurs mais différentes, contre leur douloureux passé. Il y a cette cruelle disparition du frère mais aussi, ce déracinement forcé à leur pays natal, qui reste une profonde déchirure en dépit de leur intégration, semant le trouble quant à leur identité. Que leur reste-t-il de l’Algérie ? Sont-elles trop Françaises aujourd’hui ? Sans le réaliser, elles entament une quête d’elles-mêmes au cœur de leurs racines, faisant face au poids de l’Histoire, à leur histoire. Le film de Yamina Benguigui captive par l’épaisseur de son récit et la fluidité de sa narration, qui mêle les temporalités. Il est aussi résolument féministe, montrant -fait rare- la guerre d’Algérie à hauteur de femme. Un autre regard à la démarche salutaire et qui sonne plutôt juste.

Drame de Yamina Benguigui, avec Isabelle Adjani, Rachida Brakni, Maïwenn (1h39)

Le mot de... Yamina Benguigui, la réalisatrice
« Je me suis aperçue que je travaillais beaucoup sur l’Histoire, sur l’immigration et sur les femmes, beaucoup… Là, j’avais ressenti le besoin de me recentrer et de partir d’une histoire singulière mais qui touchait l’universel, en l’occurrence le rapt d’enfants par des pères. Nous en avons eu dans ma famille. En démarrant l’écriture, je me suis dit : « Et si on commençait par comprendre un peu ce qu’il s’est passé entre la violence qu’ont subi nos pères durant la guerre d’indépendance, celle qu’ils ont alors ramenée au sein de leurs familles, et cette place centrale de l’Algérie ? » (...) J’ai immédiatement pensé à Isabelle (Adjani) pour le rôle de Zorah. Nous sommes amies, nous parlons toujours de ces sujets. Nous en parlons plus que de cinéma. Nous parlions de ce qu’est l’intime, ce qu’est avoir un père algérien et notre place ici, cette façon de s’arrimer quelque part. C’est un film qui tente ça : « Va-t-on pouvoir s’arrimer sans être inquiété, sans que l’on nous regarde, sans que l’on nous juge ? » (…) Je voulais qu’elles (les actrices) soient toutes Algériennes pour aller puiser des choses qui faisaient partie du hors champ. Il n’est pas question d’islam dans ce film. Le sujet, c’est la Guerre d’Algérie et ses séquelles. C’est particulier, ça fait encore mal partout. Je pense que c’est difficile d’en faire des fictions. »
DR - John Waxx

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