Sylvie Cafardy : « Mourir, au fond, ce n’est pas si dramatique »

Médecin gériatre à l’hôpital de Confolens, le Dr Sylvie Cafardy a publié fin 2020 le livre Expériences de mort imminente(*). Elle y explique comment partir apaisé, entouré de ses proches. « Apprendre à mourir, c’est d’abord apprendre à vivre », indique la Montmorillonnaise.

Arnault Varanne

Le7.info

Avons-nous encore et toujours, collectivement, un « problème » avec la mort ?
« C’est évident et cela de tout temps. Une psychologue me racontait que, lors d’une formation qu’elle donnait à des soignants sur les soins palliatifs, ceux-ci se sentaient tout aussi désemparés devant leur patients en fin de vie que leurs collègues d’il y a 20 ans. Car la mort de l’autre nous rappelle la nôtre. Et la mort fait peur. Mais c’est normal : une espèce vivante qui n’ a pas peur de la mort ne cherche pas à s’en protéger et ne peut pas survivre. L’évolution a donc gravé la peur de la mort dans nos gènes. Mais cette peur, toute légitime qu’elle soit, altère considérablement la prise en charge des personnes en fin de vie. »

Pourquoi les expériences de mort imminente (EMI), que vous racontez dans votre livre, sont-elles encore marginalisées ?

« Ces récits que m’ont confiés des expérienceurs ont pourtant un effet apaisant sur la peur de la mort. Par exemple, l’infirmière Nathalie, qui raconte sa brève incursion dans un tunnel de lumière. Avoir vécu une EMI modifie complètement leur système de valeurs et de croyances, avec, en particulier, une grande sérénité face à la mort et une plus grande empathie envers les autres. Hélas, peu d’entre eux osent en parler. Pourtant, on sait qu’ils représentent 4% de la population mondiale. C’est pourquoi je leur donne la parole, je leur ouvre la voie, je leur sers de brise-glace. Une expérience de mort imminente, c’est une expérience subjective, c’est-à-dire que seul celui qui la vit en a conscience, comme la douleur ou l’amour. Mais la douleur, tout le monde l’a ressentie, donc tout le monde sait ce que c’est et sait que cela existe. Alors que pour les EMI, 96% des gens n’en ont jamais vécu, n’ont aucune idée de l’effet que ça fait, et doutent de leur existence. C’est donc très difficile pour un expérienceur de leur en parler. »

En quoi ces expériences peuvent-elles changer la fin de vie ? 
« C’est très réconfortant, pour un malade, un proche ou un soignant, de savoir que celui qui s’enfonce dans la mort se sent bien. A condition, cependant, qu’il ne ressente plus ni colère ni haine. Cela nécessite d’avoir réussi à résoudre ses conflits et à pardonner, à soi et aux autres. C’est un travail qui demande du temps, et souvent l’aide des autres, des proches et d’accompagnants formés. Dire pardon, au revoir, et dénouer ainsi les liens qui nous retiennent à ceux que nous aimons, sont des choses fondamentales pour que celui qui meurt puisse se détacher sereinement de ce monde. »

Le corps médical vous semble-t-il aujourd’hui mieux armé pour appréhender la fin de vie des patients ?
« Je suis étonnée de voir le nombre de mes confrères qui ne connaissent pas les soins palliatifs. Un interne en ORL m’a répondu une fois, alors qu’il était censé avoir été formé, que les soins palliatifs, c’était lorsqu’il n’y avait plus rien à faire. Ce sont au contraire des soins de confort, qui devraient être mis en place dès l’annonce d’une maladie grave, longue et invalidante, en même temps que les soins curatifs, et sans attendre que le malade soit en fin de vie. »

La loi Claeys-Leonetti, dernière en date sur la fin de vie, va-t-elle assez loin ? Est-elle appliquée sur le terrain ?
« Si elle était mieux connue et appliquée, elle serait suffisante… Pendant mes quinze ans de pratique clinique en Unité de soins de longue durée, je me suis appuyée sur cette loi et celle qui la précédait, la loi Leonetti, et cela m’a suffi. Ces lois exigent que les médecins utilisent tous les moyens nécessaires à leur disposition pour soulager les souffrances de leurs patients en fin de vie, même si cela doit avoir pour effet secondaire involontaire d’abréger leur espérance de vie. L’euthanasie ne devrait intervenir qu’une fois que tous les moyens possibles pour soulager le malade ont été utilisés, et uniquement s’ils se sont révélés insuffisants. Or, ce n’est pas ce qui est fait. La douleur n’est pas suffisamment soulagée, parce que les médecins et les soignants évitent d’aller voir leurs malades en fin de vie. Parce que la mort de leurs patients leur rappelle la leur et que cela leur fait peur. On en revient toujours là. L’euthanasie apparaît alors comme un moyen de contrôler la mort de ces patients, un moyen de contrôler l’objet de leur peur. Car ce que l’on peut contrôler fait moins peur. Mais l’euthanasie coupe précocement la communication avec les proches et empêche le travail de pardon et de réconciliation nécessaire à une mort sereine. »

(*)Expériences de mort imminente, Le témoignage inédit d’une gériatre, publié aux éditions HumenSciences en octobre 2020 - 416 pages - 19€.

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