Dominique Truco, de l'art d'une certaine manière

Dominique Truco. 66 ans. Commissaire d’exposition depuis plus d’une trentaine d’années. Expose ses propres haïkus visuels à Montmidi, à Poitiers, pendant quelques semaines. Grande admiratrice des artistes et proche de la nature. En un mot comme en dix, passionnée.

Arnault Varanne

Le7.info

Nul besoin de partir à l’autre bout de la planète pour voyager. Les plus grandes découvertes peuvent se réaliser à un jet de pierre de chez soi. Parce qu’elle aime son quartier de Poitiers, parce qu’elle s’y sent bien, Dominique Truco a choisi de l’exposer au sens propre comme au figuré. Ses quatre-vingt-quinze haïkus visuels trouvent racine à Montmidi, à Poitiers(*). « La friche qui apparaît est aujourd’hui le socle de la future école maternelle, mais elle fait partie de mes terres de ressourcement. » Sur la photo, l’artiste s’est saisie elle-même d’une pomme dans une main et d’une orange dans l’autre. Et son repaire prêté par un bailleur social -jusqu’au 12 février- exhale un parfum de nature réjouissant, où 
« l’être humain se place non pas au-dessus de la flore ou de la faune, mais dedans et avec », 
comme l’écrit Gilles Clément. Le jardinier-paysagiste-entomologiste-écrivain a relevé le gant de légender quelques-unes des photos.

Le vivant 
unique continent

L’ancienne fondatrice et directrice de la Biennale d’art contemporain de Melle (2003-2015) et le maître de la pensée écologique se sont connus dans les Deux-Sèvres. D’une certaine manière, il lui a légué le goût de la transmission. Car elle ne se contente pas de montrer la nature, elle la défend, plume à l’appui. Le vivant unique continent. Le manifeste d’une quarantaine de pages, paru à l’automne 2020, sonne comme un appel « aux bientôt huit milliards d’humains du jardin planétaire prêts à habiter écologiquement et poétiquement la terre ». Artiste sur le tard, Dominique Truco est commissaire d’exposition depuis une trentaine d’années. Autrement dit, elle promeut le travail d’artistes de la trempe de James Turrell, Kôichi Kurita -qui a entrepris l’inventaire de quelque 35 000 terres du Japon-, Jacques Villeglé... Et de tant d’autres ! 
« Qu’ils soient jeunes ou vieux ne m’intéresse pas, c’est leur force de création, leur liberté, leur capacité à s’emparer du vivant et à regarder le monde qui est mon moteur. »

Son premier vote de jeune adulte, au milieu des années 70, fut en faveur de René Dumont. Tout un symbole. Dominique Truco aime 
« les voyants », ceux qui s’emparent des sujets fondamentaux avant les autres. Près d’un demi-siècle plus tard, l’état de la planète 
s’est hélas dégradé. Mais la sexagénaire-qui-a-« toujours-17-ans-dans-[ma]-tête » conserve une énergie incroyable et une foi inébranlable en l’avenir. Après tout, la Loudunaise n’était pas destinée à tomber dans la marmite culturelle, elle qui a fait des études d’anglais, s’est intéressée à la presse alternative... En résumé, a beaucoup cheminé ! A quoi rêve-t-on quand on grandit dans le Loudunais, entourée de six frères et sœurs ? 
La fille de peintre (« sur l’état civil »)
 en bâtiment (dans la vraie vie) loue cette famille « ouvrière généreuse et créative » qui lui a permis de s’émanciper. « Je dirais que j’ai grandi dans un milieu modeste, éclairé et très sensible à la qualité de la vie. » Ajoutez à cela « un goût de la liberté et de la nature » 
et vous obtenez un creuset de possibilités.

A New York 
comme un déclic

Et puis il y a cette rencontre avec Bella Schwam, ancienne réfugiée à Loudun et rescapée des camps de la mort, et sa fille Suzanne. Les deux ados ont 15 ans, passent du temps ensemble et Dominique, dingue d’anglais, est invitée l’année d’après à... New York. Une sorte de rêve éveillé. 
« Quand il se passe ça dans sa vie, c’est forcément un tournant. » 
Elle évoque ses souvenirs américains des étoiles dans les yeux. On est loin de Poitiers et de ce vent de liberté qui a soufflé sur la ville au milieu des années 1970. Prise dans le tourbillon, Dominique a collaboré avec d’autres au Farci poitevin, un mensuel d’infos polémiques et culturelles, puis s’est glissée plus tard dans les pas de l’association Artension. Une sorte de prélude au Confort moderne qu’elle a rejoint plus tard. Du hangar du Faubourg-du-Pont-Neuf à la galerie Louise-Michel, au fond Dominique Truco a toujours été animée par la même idée : donner à voir, à réfléchir... Et de citer cette phrase de l’écrivain Francis Ponge : « La fonction de l’artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier, et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. » Volontiers « empathique et inventive », la Poitevine du chemin du Soleil-Levant -ça ne s’invente pas !- 
reconnaît qu’elle est « empressée ». Elle a pourtant attendu 66 ans avant de dévoiler l’artiste qui sommeille en elle, preuve que le temps qui passe est une chimère.


(*)Dominique Truco donnera une lecture de son livre Le vivant unique continent mercredi à 15h30 à L’Effet bocal, ainsi que le 11 février (19h), au Chauve souriant.

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