« Je veux faire
 du positif »

Pour ce deuxième volet de notre série Nos quartiers ont du talent, zoom sur le quartier des Couronneries, à Poitiers. Aziz Masrour y est éducateur et mène depuis presque trente ans un même combat : aider les jeunes à façonner leur avenir.

Eva Proust

Le7.info

Comment percevez-vous votre rôle d’éducateur ?
« Ce que j’ai appris en vingt-sept ans de métier, c’est que les jeunes ne changent pas. Ils aspirent tous à avoir une vie stable. Seulement, ils ne prennent pas tous les mêmes chemins. Il y a des profils décrocheurs, des trajectoires difficiles qu’il faut accompagner avec plus de persévérance, mais c’est une minorité et on en oublie que le reste d’entre eux étudie ou travaille. Le problème selon moi, c’est l’orientation. Certains sont poussés par défaut dans des voies ou des formations qui ne leurs plaisent pas. Alors mon premier relais face à un jeune qui décroche, c’est la Mission locale. J’agis comme un facilitateur entre les structures et je donne un coup de main pour trouver une formation, de l’intérim, faire une recherche d’emploi ou passer le permis. Je remarque qu’ils manquent de confiance en eux, et la stigmatisation y est pour quelque chose. Ce qu’il s’est passé à Arras récemment est un bon exemple, l’info tourne en boucle, c’était la même chose en juin dernier après les émeutes. C’est pesant pour des jeunes issus de l’immigration. Ce manque de considération provoque parfois une paranoïa des jeunes envers la société et c’est ce qui peut mener vers de mauvais choix de vie, du trafic, de la délinquance… »

La politique de la Ville est-elle insuffisante en ce sens ?
« On valorise certes, des fonds sont injectés dans les quartiers, mais de manière maladroite. Tout ne se règle pas avec de l’argent, il faut de l’écoute, de l’échange. C’est bien d’avoir de nouvelles infrastructures comme des terrains de foot, mais c’est un peu perçu comme le sport par défaut dans les cités, beaucoup n’y jouent pas. Il y a plusieurs groupes que j’avais emmenés faire du motocross pour les défouler au lieu de faire des rodéos. Ils avaient demandé s’il était possible d’avoir un terrain adapté pour la moto à Poitiers, mais c’est resté sans réponse... »

Comment avez-vous vu 
le quartier évoluer ?
« Mon constat, c’est que rien n’a changé… On agit sur le moment pour avoir la paix. J’entends souvent les élus dire que « l’avenir c’est les jeunes », 
dans ce cas il faut aller vers eux. Malgré tout, je veux continuer à faire du positif. J’ai trouvé du temps à libérer pour me consacrer à eux, les inviter à boire le thé par exemple. Un jour, je prendrai le temps de faire la liste de tous ceux qui ont été suivis par le centre et voir ce qu’ils sont devenus. Certains sont ingénieur, médecin, l’un d’eux a un poste dans la finance à New York et continue à me donner de ses nouvelles. C’est une réussite pour nous et une fierté pour eux et leur famille. »

Quels projets voudriez-vous développer ?
« Continuer la sculpture de girafe grandeur nature, avec des volontaires qu’on forme à la soudure. Avoir une œuvre faite par des jeunes du quartier sur la place publique, ça n’existe pas à Poitiers. Je travaille aussi depuis une quinzaine d’années sur des projets européens pour emmener des groupes en voyage. Je vois ce que ça change chez eux, c’est à l’étranger qu’ils se rendent compte de ce qu’ils ont en France, qu’ils s’y identifient. »

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