Hier
Sourabad Saïd Mohamed. 46 ans. Délégué de l’Agence pour l’égalité entrepreneuriale, à Poitiers. Président de la CPME des Deux-Sèvres. Formé à la philosophie et aux ressources humaines. Fils d’un ancien député et ministre des Comores. Père de deux garçons. Aime la chose publique, moins la politique.
Depuis sa fenêtre, il dispose d’une vue imprenable sur l’arrière de la résidence Fabre-d’Eglantine, à Saint-Eloi. La fameuse tour de l’Horloge abrite d’autres types d’entrepreneurs que ceux que Sourabad Saïd Mohamed accompagne dans le cadre de l’Agence pour l’égalité entrepreneuriale. L’Apée n’a pas gagné la guerre contre les dealers -après tout, ce n’est pas son rôle-, mais au moins a-t-elle su se fondre dans le décor. « Chacun son espace... », euphémise le consultant à l’égalité professionnelle et à la lutte contre les discriminations. Qui milite sans ambiguïté en faveur de la légalisation du cannabis « pour qu’au moins ce modèle économique soit taxé ». « Inspirons-nous de l’Allemagne et de son orthodoxie. »
Avec l’âge, le fils de député et ministre comorien se trouve « moins impulsif, plus réfléchi, à l’écoute des points de vue des autres ». Sa condamnation pour outrage et rébellion contre des policiers, lorsqu’il avait une vingtaine d’années, l’a marqué. Il ne « réagirait plus comme ça aujourd’hui », même si... « On sortait de boîte de nuit avec mon petit frère et des policiers nous ont contrôlés sans raison promenade des Cours. J’ai refusé de donner mes papiers. L’un d’entre eux a dit à mon frère « Tais-toi le singe ». A l’époque, je ne me suis pas retenu. » Le temps a « fait son œuvre » et le quadragénaire, père de deux garçons de 18 et 13 ans, n’en veut pas aux policiers en général. N’empêche, son aîné s’appelle Naël, est né en 2005... Toute ressemblance avec le drame de Nanterre du 27 juin 2023 n’est pas complètement fortuite. L’ancien étudiant de l’université de Poitiers s’est fendu d’un billet sur Linkedin pour dresser un parallèle entre ces deux Naël à l’existence antagoniste.
Un frère en prison aux Comores
L’injustice, les inégalités, les discriminations, Sourabad les combat de toutes ses forces depuis toujours. Un atavisme. Lui-même a atterri à Poitiers à l’âge de 8 ans en raison des menaces qui pesaient sur son père, opposant à Bob Denard. Une partie de sa famille -il a neuf frères et sœurs- est retournée à Moroni, lui a choisi de rejoindre Poitiers, où sa sœur vivait. Depuis janvier, il se mobilise pour faire libérer son frère Achmet, incarcéré là-bas officiellement pour des « préparations et manœuvres visant à commettre des crimes graves, mettant en péril la sûreté de l'État ».
L’assertion du procureur lui arrache un soupir. Ah, la politique et ses tourments... Le gamin de Ouellah se désole de la situation de son frangin en particulier, ancien enseignant-chercheur à l’université de Poitiers -« c’est un pacifiste-né »-, et du sort des Comoriens en général. « Les Comores, comme Mayotte d’ailleurs, ce pourraient être Les Seychelles ou l’île Maurice avec des volontés politiques... »
La politique n’est jamais très loin dans le discours de cet « idéaliste » assumé. De l’extérieur, il dénonce « la violence institutionnelle, en col blanc ». « J’aimerais que le pouvoir ne soit pas un objet de conquête mais un outil qui permette d’améliorer la vie des gens. » Alors en 2020, Sourabad Saïd Mohamed s’est fendu d’une tribune intitulée « Pas sans nous », à l’aube des Municipales à Poitiers. Avec le mouvement des « Fourmis », il a (in)directement contribué à la victoire de l’actuel exécutif en « mobilisant les jeunes des quartiers ». Il n’ira pas plus loin, plus intéressé « par la chose publique » que par un mandat quelconque.
Moteur, action !
Le titulaire d’un triple master de philosophe, médiation des organisation et gestion des ressources humaines préfère « le concret » et « l’action » aux incantations. « Depuis 2018, on a contribué à injecter 1,2M€ dans les quartiers et on a permis à 250 personnes de retrouver de l’autonomie, de la dignité, de l’empowerment » La preuve par l’exemple, en somme. Aux discours victimaires, le Poitevin a toujours privilégié le « faire ». « Comme consultant, j’ai longtemps assisté à des tas de réunions où les gens se ressemblaient. A un moment donné, je suis entré dans la pièce et j’ai bloqué la porte. J'ai dit aux autres : allez-y, rentrez ! C’est ça l’éthique, faire. Et ça vaut toutes les moralines du monde. »
Ce grand fan de Kerry James, Brav, Scylla ou... Brassens « cherche le sens » partout et tout le temps. Dans les écrits de Kundera comme dans ceux de Dostoïevski. Il compte d’ailleurs reprendre et terminer sa thèse sur les notions de normativité dans les identités de construction des communautés noires. « Il y a des notions de résistance derrière... » C’est fou ce que Sourabad Saïd Mohamed voit de sa fenêtre !
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