L’université, presque 600 ans

Cette année, Le 7 part en quête de ce que l’histoire de Poitiers a laissé dans le présent, dans l’imaginaire collectif, la langue, le droit… Septième et dernière étape à l’université de Poitiers, l’une des plus anciennes de France.

Claire Brugier

Le7.info

Les Poitevins le constatent chaque année : l’été, la ville désertée par ses étudiants change de physionomie. Que serait devenue Poitiers sans son université ? Bien malin qui pourrait le dire. Une chose est sûre, « elle est l’un des grands marqueurs de la ville », constate Fabrice Vigier. Professeur d’histoire moderne au sein de la vénérable institution, il est aussi membre de la Société des Antiquaires de l’Ouest. Or, depuis 1879, la société savante occupe justement ce qu’il reste de l’université primitive (photo ci-dessus). Une plaque en pierre, au-dessus de la porte qui mène à la bibliothèque, désigne le lieu comme « Hôtel des grandes écoles, construit de 1447 à 1466 par la Ville de Poitiers dans l’enclos de l’échevinage pour abriter l’université fondée en 1431 ». Les arcades de la rue Paul-Guillon faisaient aussi partie des premiers bâtiments, à deux pas de la mairie qui était alors située à l’angle de la rue Gambetta. 


Des bâtiments dédiés

Pourquoi Eugène IV par une bulle papale datant de 1431, et Charles VII par une ordonnance de 1432, ont-ils choisi Poitiers pour accueillir la onzième université du royaume ? En raison de sa taille d’abord. « Au 
XVe siècle, Poitiers était l’une des plus grandes villes de France », 
pose Fabrice Vigier. Mais la cité a pu aussi compter sur un petit coup de pouce de l’Histoire avec, en l’occurrence, la Guerre de Cent Ans (1337-1453). « Depuis 1418, Paris était occupée par les Bourguignons et les Anglais, contraignant Charles VII et les administrations royales à se réfugier à Bourges… et Poitiers. Le Palais a notamment abrité le Parlement pendant dix-huit ans. » De quoi inciter le maire de l’époque, Maurice Claveurier, à plaider pour l’installation d’une université. « Poitiers s’est même singularisée en construisant ses propres bâtiments, avec une chapelle, une librairie et des salles de cours. » On y étudiait le droit, beaucoup, la médecine -mais elle avait largement moins de succès-, la théologie dans un bâtiment situé au niveau de l’actuelle rue Sainte-Opportune, et les arts dans les collèges comme Sainte-Marthe (aujourd’hui 
Henri-IV). « Des professeurs de Paris étaient débauchés. L’université a rapidement prospéré, d’autant que jusqu’au XVIIe siècle Paris n’avait pas de faculté de droit. A la fin du XVe siècle, entre 20 et 25% des étudiants de Poitiers étaient des Parisiens. » 


Des étudiants célèbres

Le nombre d’étudiants -uniquement des garçons- n’a fait que croître jusqu’à la fin du XVIe siècle pour atteindre le millier (la ville comptait alors entre 16 000 et 18 000 habitants). Certains ont marqué l’histoire des lettres comme Joachim du Bellay, Francis Bacon, René Descartes. « Le maire d’Amsterdam figuré dans La Ronde de nuit, de Rembrandt, est aussi passé par Poitiers, ajoute Fabrice Vigier. Et dans Le Menteur, de Corneille, il est question d’un Parisien qui a fait son droit… à Poitiers. »

De site en site

Quand, en1679, Jean-Baptiste Colbert, ministre des Finances, crée des études juridiques à Paris, l’établissement poitevin perd naturellement de son aura nationale. « Poitiers devient une université à rayonnement régional », note Fabrice Vigier. Elle demeure au niveau de l’actuelle rue Paul-Guillon -et de la bien-nommée rue des Grandes-Ecoles- jusqu’en 1793, date à laquelle la Convention nationale supprime les collèges et universités. Quand elle renaît en 1806 sous Napoléon, elle est installée place Notre-Dame -la rue de l’Université en témoigne encore-, avec quelques changements dans les enseignements. La théologie disparaît, les lettres et les sciences apparaissent. Vers 1922, la fac de Lettres s’installe à l’hôtel Fumé, à la fin des années 1950 les premiers bâtiments du campus – dont la bibliothèque des sciences- sont construits. L’université maille progressivement la ville et s’étend au-delà avec en 1995 l’installation du SP2MI sur la Technopole du Futuroscope. Sans oublier ses antennes à Châtellerault, Niort et Angoulême.

 

Descartes étudiant

Les Archives départementales de la Vienne abrite une précieuse attestation. Retrouvé en 1981, le document fait mention d’une soutenance présentée à Poitiers par René Descartes sur le thème des testaments.

L'essor des imprimeurs

 A Poitiers, l’histoire de l’université a notamment influé sur l’histoire des imprimeurs. Ce n’est pas un hasard géographique si « les premiers moulins à papier s’installent à Poitiers entre 1436 et 1439 », note Fabrice Vigier. Autre signe de ce destin lié : « Guttenberg a inventé l’imprimerie en 1450 et le premier document imprimé à Poitiers l’a été dès 1479 ! C’est la 7e ville à avoir imprimer un livre », note Fabrice Vigier. Les bibliothèques poitevines abritent donc des incunables, autrement dit des livres imprimés avant le 31 décembre 1500. C’est l’un des héritages de cette longue histoire universitaire. Le premier imprimeur du Poitou, un certain Jean Bouyer, était aussi à Poitiers. « La ville a compté jusqu’à une vingtaine d’imprimeurs, parfois désignés également comme « libraires ». A partir du XVIIe siècle, l’imprimerie est devenue une activité plus routinière. »  L’université a par ailleurs toujours généré une importante activité culturelle. Et l’historien de citer par exemple l’existence du salon des dames des Roches, entre 1560 et 1570. « Il a rassemblé autour de la poésie tous les grands intellectuels du moment. »

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