Le Regard de la semaine est signé Jean-Luc Terradillos.
La place Anti-Jean-Demélier existe vraiment : dans les livres de Jean Demélier et en plaque émaillée avec lettres blanches sur fond bleu, plaque officielle prête à poser qu’il avait fait réaliser de son vivant. Né à Poitiers en 1940, l’écrivain nourrissait une relation d’amour-haine avec sa ville natale, heureux de la quitter à sa majorité pour « monter à Paris », où il est mort en 2023. Très tôt, il y rencontre Samuel Beckett -le prix Nobel de littérature fut un fidèle soutien amical et matériel- puis les écrivains réunis par Georges Lambrichs dans la collection « Le Chemin » chez Gallimard où l’on retrouve notamment un autre Poitevin, Michel Foucault, pour son Raymond Roussel, J.-M.G. Le Clézio, Christian Bobin, Michel Chaillou, Jean-Marie Laclavetine, Georges Perros… Entre 1971 et 1977, Jean Demélier publie cinq romans dans cette collection prestigieuse :
Gens de la rue, Le Rêve de Job, Le Sourire de Jonas, La Constellation des Chiens, Le Miroir de Janus, puis en
1978 chez Ramsay : Le Jugement de Poitiers. Tous ont pour cadre Poitiers, ville bénie des dieux mais qui ne le sait pas, qui a tout pour y vivre « benaise » sauf la mer et la montagne, où « poiteviner » est une forme de sagesse.
Sa langue tranche dans le vif, avec beaucoup d’ironie et d’irrévérence, mais aussi des fulgurances poétiques chauffées à blanc jusqu’à la fantaisie rabelaisienne. De culture protestante, révolté contre toute forme de pouvoir et d’autorité, méprisant l’argent et ceux qui thésaurisent, il hésitait entre ascèse et excès. Ses dessins -pas ses droits d’auteur-, ainsi que des pièces radiophoniques pour France Culture, des livres d’artistes, avec notamment Daniel Mohen, Abraham Hadad, Alexandre Bonnier, lui ont permis de tenir debout.
Il manque un cœur à Poitiers, disait-il, que les Poitevins ont longtemps ignoré : le Palais des ducs d’Aquitaine. Aussi serait-il satisfait de constater aujourd’hui la mutation du Palais qu’il rêvait de voir transmuer en phare culturel, comme le Palais des papes d’Avignon. Depuis, seul Alberto Manguel a aussi bien vu Poitiers (dans Un amant très vétilleux). Alors pourquoi ne pas honorer sa mémoire a contrario, comme il le souhaitait ? Une place Anti-Jean-Demélier c’est l’un des objectifs de l’association des Amies de Jean Demélier, créée en octobre 2024. Pourquoi pas entre une librairie, un café, un restaurant et le Palais ? Il existe une parcelle longeant la rue Gambetta : une ancienne plaque indique « Anct plan du Mai ». Ne serait-ce pas un lieu idéal ?
Chiche !
CV express
Journaliste tout-terrain, d’une insatiable curiosité. J’orchestre L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, revue culturelle à fort contenu scientifique éditée par l’Espace Mendès France, ancrée dans la pensée d’Edgar Morin : « Relier la science et les cioyens. »
J’aime: flâner dans les villes, marcher sur la plage les pieds dans l’eau, les lectures d’Alberto Manguel, les saveurs de Denis Montebello et de Glen Baxter, les sons de Pierre Henry, Vanessa Wagner, Zaho de Sagazan, le fié gris, le mothais sur feuille.
J’aime pas : les pessimistes chroniques, les lamentations du lundi, les extrêmes, les savantes péroraisons.