Aujourd'hui
L'Etranger, Camus au présent
Avec L’Étranger, François Ozon parvient à adapter l’inadaptable en offrant une version contemporaine et sans artifice du roman de Camus publié en 1942. A voir absolument.
Alger, 1938. Meursault, employé de bureau, vient de recevoir un télégramme : sa mère est morte. Dans la suite logique des choses, le jeune homme se rend à l’enterrement, loin de chez lui, à Marengo. Il ne versera aucune larme. En rentrant de ce périple éreintant sous un soleil de plomb, il reprend le cours de sa vie. Il nage aux bains avec Marie, une ancienne collègue dactylo et échange brièvement avec ses voisins Salamano (qui bat son chien) et Raymond (qui bat… une femme). Mais quelques jours plus tard, le jeune Meursault tue un Arabe sur une plage d’Alger. Un meurtre pour lequel il ne formulera pas de regrets lors de son procès. Les amateurs de Camus connaissent la suite. Avec cette adaptation de L’Étranger, François Ozon s’attaque à un monument près de soixante ans après Luchino Visconti. Et si la version du cinéaste italien était une véritable déception, il faut bien se l’avouer, celle de François Ozon, au contraire, est une réussite. Loin de l’adaptation littérale de son aîné, Ozon décide de s’émanciper davantage de l’ouvrage en proposant une version replacée dans son contexte historique. L’Algérie française est là, dans chaque plan. Son racisme aussi. Souvent subtil mais toujours violent. Et si l’idée de voir un film en noir et blanc en 2025 peut rebuter au premier abord, Ozon met tout le monde d’accord dès les premières secondes. Incroyablement pur, il « apporte une forme de distanciation qui correspond bien au regard de Meursault sur le monde. Et puis toutes les archives de l'époque sont en noir et blanc », confiait le réalisateur lors de l’avant-première du film, à Poitiers le 1er octobre dernier. Ozon opte pour une mise en scène tout en retenue, sans chercher à intellectualiser Camus. Il filme la brûlure du soleil, le sable qui colle, les corps qui transpirent, l’éblouissement qui désoriente… Côté casting, Benjamin Voisin compose un Meursault magnétique, au corps à la fois désirable et inquiétant. Ozon accorde dans cette version une plus grande place aux femmes du roman et notamment à Marie (très juste Rebecca Marder), tragiquement humaine et aux antipodes de Meursault. Avec une neutralité tenue jusqu’au bout, Ozon ne cherche pas à réconcilier ni à expliquer. Il laisse le spectateur dans un inconfort brûlant, exactement là où Camus plaçait son lecteur : devant une énigme sans solution. On sort frappé, vidé. Et après tout, c’est un peu ce que l’on est venu chercher.
Drame de François Ozon avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Swann Arlaud (2h02).
DR
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