« Notre Syrie est devenue un enfer »

Seize membres de la famille Helal ont fui la Syrie et sa capitale, Damas, pour échapper aux atrocités de la guerre et éclairer l’avenir des plus jeunes. Hébergés, depuis quelques semaines, dans le centre-ville de Poitiers, ces chrétiens catholiques réapprennent à vivre. Tant bien que mal…

Florie Doublet

Le7.info

Derrière la porte cochère, le préau s’ouvre sur une belle demeure de ville qui respire l’effusion collective. Dans la grande pièce commune, les échanges fusent, les sourires s’affichent, tasses de thé et de café s’entrechoquent dans le fracas des plaisirs partagés. Au dehors, les gamins -que des garçons !- se prennent pour Messi ou Ronaldo. Images ordinaires d’un bonheur ordinaire. « Ils s’efforcent de sourire, mais leur tristesse est immense. » 

Dans un français impeccable, appris autrefois à Paris, Ziad Helal raconte l’histoire des siens. A Damas, capitale dévastée d’une Syrie en feu, Ziad est prêtre, serviteur d’un catholicisme traqué par les islamistes de Daech -lui dit « Isis »- et que le régime de Bachar el-Assad peine de plus en plus à protéger. « Avant leur arrivée, mon pays comptait près de deux millions de chrétiens, la plupart sont partis, précis-t-il. Quant aux religieux, beaucoup ont été tués. J’ai pourtant décidé d’y retourner, car mon devoir est là-bas, au côté de ceux qui souffrent. En revanche, mes frères et sœurs, eux, n’avaient plus rien à faire à Damas. La violence est partout dans les rues. Vivre dans la crainte qu’une bombe explose est inhumain. » 

Enfants de la guerre

Sur ses conseils, deux de ses sœurs, Omayma et Osaima, et un frère, Firas, ont donc quitté les rives du Barada, en février, pour rejoindre la France. « A Poitiers, j’avais des relations. L’archevêque nous a mis cette maison à disposition. Je ne le remercierai jamais assez de son aide. » 

Dans ses bagages, le trio a emmené les quatre enfants d’Omayma, Attaf, 32 ans, Reem, 26 ans, Ranim 18 ans et le petit Arin, 11 ans. Firas, lui, est venu avec son épouse, Najwa, et leurs trois fils, Philip, Fares et Fadi. Le jour de l’Ascension, ils ont été rejoints par un autre frère, Yazid, sa femme Nidaa, et leurs trois fils, Ziad, Jad et le dernier de la dynastie, Zien, 1 an. « Au total, ils sont seize, calcule Ziad. Seize proches que je sais à l’abri. Deux sœurs sont encore en Syrie. J’espère les convaincre de les rejoindre. » 

Hier encore, ils travaillaient comme ingénieur, gestionnaire, restaurateur ou institutrice. Hier encore, Damas respirait la tranquillité. En deux ans, l’horizon s’est teinté de mort et de destruction. « Jaramana, notre quartier de résidence, s’est vite retrouvé sur la ligne de front, poursuit Ziad. Mes neveux eux-mêmes se sont habitués à la guerre, aux tirs de missiles, aux cadavres... Ils ont grandi avec. C’est pour eux et exclusivement pour eux que ma famille s’est résolue à vendre les biens qu’elle possédait et à tourner le dos à sa terre natale. » 

Des papiers avant tout

Désormais loin du tumulte de la guerre, de la peur des kidnappings et des pillages, la famille Helal respire le bonheur qui leur est offert. Les plus jeunes ont été inscrits à l’école catholique Saint-Hilaire et apprennent le français à la vitesse de l’éclair. Leurs parents, eux, patientent, dans l’attente d’un nouveau geste de la providence. « La demande d’asile a été faite, mais la barrière de la langue contraint mes frères et sœurs à se faire assister dans tout, explique le prêtre. Face à l’administration, ils n’ont pas beaucoup de poids. Ils ne demandent qu’à travailler, mais il leur faut d’abord obtenir des papiers. Et cela, je ne suis pas sûr que cela soit pour demain. »  

Ce demain-là, Omayma, Osaima, Yazid et Firas le rêvent pourtant gai et ensoleillé. En rupture définitive avec les noirceurs accumulées sur cette Syrie à feu et à sang, vidée de son identité, souillée dans son humanité. Une Syrie qui n’est presque plus la leur. La redeviendra-t-elle un jour ?

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