Camille Alloing : «Faire de la médiation sur les plateformes»

Ancien enseignant-chercheur à l’IAE de Poitiers, Camille Alloing officie désormais à Uqam, l’une des deux universités de Montréal. Spécialiste des réseaux sociaux, il porte un regard aiguisé sur leur rôle, notamment après l’attentat islamiste perpétré contre Samuel Paty.

Arnault Varanne

Le7.info

Après l’attentat contre Samuel Paty, le 16 octobre, on a beaucoup disserté sur le rôle des réseaux sociaux comme catalyseurs de la propagande. Qu’en pensez-vous ?
« Les réseaux sociaux en soi ne suffisent pas. On ne se radicalise pas uniquement en ligne. Je ne connais pas le profil du terroriste, mais il y avait évidemment chez lui une prédisposition psychique pour commettre un tel acte. Ce qui est vrai, c’est que nous sommes enfermés, nous les occidentaux, dans un seul espace d’expression publique que sont les réseaux sociaux. Cela ne peut que générer des tensions. Le vrai problème, c’est le niveau d’intervention publique. »

C’est-à-dire ?
« Pourquoi n’y a-t-il pas de travailleurs sociaux qui investissent du temps pour argumenter, contre-argumenter par exemple dans les groupes Facebook où les débats sont parfois virulents ? Pourquoi on ne se repose que sur les plateformes pour la régulation ? Facebook a une équipe qui est censée intervenir lorsqu’une personne tient des propos suicidaires, violents... Mais en réalité rien n’est fait de sérieux par les pouvoirs publics. On ne peut pas demander aux plateformes de se modérer. Le cœur même de leur modèle économique et idéologique repose sur la circulation des données ! »

Existe-t-il des exemples de réussite sur cette modération publique ?
« Ces approches sont très présentes dans les pays nordiques et produisent des effets. Après l’attentat contre Samuel Paty, 78% des discours en ligne avaient un caractère islamophobe et raciste. En Allemagne, une expérience a montré qu’argumenter face à ce type de discours pouvait, en quelques mois, faire baisser de 60% ce type de discours sur des profils identifiés. »

L’une des autres questions ouvertes porte sur l’anonymat des internautes en ligne...
« Il s’agit d’un débat purement populiste qui vise à montrer que l’individu est une problématique en soi et génèrerait plus de comportements violents, de propos haineux... C’est totalement faux. Le terroriste de Conflans avait été signalé plusieurs fois à la plateforme Pharos (de signalement des contenus suspects ou illicites, ndlr). Il était donc facilement identifiable. Sociologiquement, il faut bien voir que beaucoup de gens tiennent des propos à visage découvert ! En réalité plus que l’anonymat, ce sont les effets de groupes auxquels il faut s’attaquer, pas à l’anonymat en tant que tel. »

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