A la vie, à la mort

Lydia de Abreu-Sivignon. 40 ans. Ancienne journaliste économique. Fondatrice de l’agence funéraire en ligne Joli Départ, à Poitiers. Veuve depuis le 6 juillet 2017. Mère de deux enfants. Déterminée à faire changer le regard de la société sur la mort. Eternelle optimiste mais angoissée.

Arnault Varanne

Le7.info

Pendant dix ans, elle a raconté par le menu la vie des entreprises de la Vienne et de la région. Pendant dix ans, elle s’est fait l’écho des créations d’activités, des embauches et autres levées de fonds réussies. La voilà de l’autre côté du miroir, à son tour dirigeante de sa propre structure, dont elle tient la barre depuis deux mois. Joli Départ, ça sonne comme un appel apaisé et doux vers l’au-delà. « Dans les obsèques, il faut bien évidemment respecter les dernières volontés du défunt, mais aussi prendre soin de ses proches. Le traumatisme reste », estime l’ancienne rédactrice en chef de l’hebdo Info Eco.

« Organiser des événements joyeux »

Lydia de Abreu-Sivignon parle d’expérience. Elle a perdu « son mari, son homme, son meilleur pote » le 6 juillet 2017. Il s’est éteint après quatre ans et demi de lutte acharnée contre un cancer de la veine cave supérieure du cœur. « Bruno est tombé malade le 9 janvier 2013, ce fut ensuite une descente aux enfers, avec très peu de bonnes nouvelles... Le jour où j’ai su, je me suis effondrée en larmes. » Depuis son domicile poitevin, la néo-quadragénaire raconte son histoire, ou plutôt la leur, avec la conviction que « plus on parle de la mort, plus on brise un tabou ». Bruno, « grand, beau et élégant » a toujours refusé d’envisager l’inéluctable. « Jusqu’au bout, il n’a jamais accepté, il se sentait coupable d’abandonner ses enfants même s’il me disait que j’étais forte. »

Pendant ces presque « cinq ans en enfer », la journaliste s’est efforcée de « faire face et de lutter ». Pour elle, pour lui, pour Paolo (12 ans et demi) et Valentino (7 ans et demi). Cela a signifié organiser « des événements joyeux », leur mariage d’abord, le baptême du petit ensuite, la communion du grand enfin. « On s’est aussi promis de ne pas sacrifier les vacances. On a acheté un mobil-home à l’île d’Oléron. Là-bas, Bruno ne se sentait pas malade, il était libéré. » Hélas, la maladie a triomphé, alors que son épouse était partie emmener leurs deux garçons au Portugal pour les vacances. « Il est mort comme il est né, dans les bras de ses parents, l’année de ses 40 ans. »

Le temps a passé et Lydia a choisi de rester dans la Vienne, alors que ses racines se trouvent en Saône-et-Loire. Elle se sent bien à Poitiers, elle y a tissé ses réseaux et des amitiés solides, alors qu’elle ignorait jusqu’à l’existence du département avant de poser ses valises. « Avec Bruno, on devait aller en Sardaigne depuis Lyon. Mais je me suis trompée en réservant les billets. Arrivés à Genève, nous n’avions pas de correspondance... » Ni une ni deux, les deux amoureux ont mis les voiles vers l’Ouest, direction La Rochelle et l’incontournable Futuroscope. Une offre d’emploi chez Info Eco a fait le reste.

Fille de peintre en bâtiment et de mère au foyer, Lydia de Abreu-Sivignon dégage une vraie force intérieure. Elle se définit comme une « éternelle optimiste », « exigeante en amitié », « généreuse » et « angoissée ». On serait tenté d’ajouter résiliente. Plus jeune, elle a failli perdre ses jambes dans un accident de voiture. Le 6... juillet 2020, elle a aussi été victime d’un pneumothorax spontané. A la clé, six jours en réanimation à l’hôpital de Roanne.

Le lion, c’est lui

Avec autant d’épreuves sur sa route, la cheffe d’entreprise sait pertinemment que la vie est « une lutte permanente ». Alors elle s’accroche à l’idée que la mort peut être différente, plus apaisée, sereine. En un mot, jolie. « On n’est pas obligé de fleurir les cimetières qu’avec des fleurs sans âme. Il faut y mettre de la couleur ! » Son agence funéraire, pour l’heure 100% en ligne, se définit comme « une alternative » aux enseignes traditionnelles. Ça ressemble à un sacré pari dans un département où le classicisme reste la règle. Et puis la crise sanitaire n’arrange rien, ne facilite pas les contacts. Mais la dirigeante de Joli Départ ne s’affole pas. « La pandémie m’a appris que je pouvais gérer tout toute seule, sans Bruno. » A vrai dire, « son homme » veille sur la tribu. Le lion sur le tableau du salon, « c’est lui », sourit Lydia. Un jour de vacances au Portugal, Bruno avait dit ceci à sa douce : « Je veux aller surfer avec toi dans l’océan. » Il devra patienter, la working girl a encore beaucoup de projets sur la terre ferme.

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