Joan Roch : Ultra-ordinaire, la suite

Joan Roch. 47 ans. Poitevin de naissance, Québécois d’adoption. Ultra-traileur de longue date. A arrêté de courir en mai 2016, avant de repartir de plus belle. Raconte dans Ultra-ordinaire 2, odyssée d’un coureur, sorti le 3 juin en France, son périple entre la Gaspésie et Montréal... en sandales. 1 135 bornes d’une aventure hors norme.

Arnault Varanne

Le7.info

Certains courent après l’argent, d’autres après le succès, d’autres encore après le temps. Lui galope par pur plaisir. Il l’avoue sans fard, c’est « ce qu’(il) sait faire de mieux ». Joan Roch est une star au Canada, où il vit depuis 1999. Il est l’homme qui court par tous les temps, de son domicile à son bureau et inversement. Vingt bornes quotidiennes... hormis une parenthèse douloureuse mais instructive de quelques mois, entre 2016 et 2017. « J’ai arrêté quasiment du jour au lendemain, je ressentais une sorte d’épuisement mental. Ça me coûtait en temps, en argent et sur la vie de famille. Je pensais que ça allait régler mes problèmes, mais en fait... » En fait, non. Le programmeur informatique et son épouse ont fini par se séparer et il est « retombé dans sa routine ». Celle qu’il raconte dans son premier livre, Ultra-ordinaire, paru en 2016 (cf. Le 7 n°309).

1 135 bornes en 9 jours

Le Poitevin d’origine, fils d’universitaires poitevins, s’épanouit dans cette capsule temporelle rien qu’à lui. « Quand je cours sur le fleuve Saint-Laurent gelé, par -25 degrés, je suis le seul à avoir cette vue de Montréal. » Un bonheur contagieux dont il inonde les réseaux sociaux. « Je me suis rendu compte que mes photos étaient un élément de motivation pour d’autres. Si je peux servir à quelque chose... » Alors après sa parenthèse « off », le diplômé de l’Insa de Lyon, catégorie génie physique et matériau, s’est imaginé nourrir son deuxième livre du récit d’un autre défi XXL : la Triple Crown of 200s, trois ultras de 320, 320 et 385 dans l’ouest des Etats-Unis -« je n’avais jamais fait plus de 250km »-, à faire entre août et octobre 2020.  Il s’inscrit en décembre 2019, mais la pandémie balaie son grand dessein et l’oblige à imaginer un autre scénario pour Ultra-ordinaire 2, odyssée d’un coureur.

« Si un des autres patients me demande ce que je fais ici, je répondrai : accident de barbecue. »

Comment galoper en toute liberté, en pleine période de pandémie, a fortiori sans sortir des frontières du pays ? Avec sa compagne Anne, elle-même coureuse, et sous le regard bienveillant de ses trois enfants (13, 11 et 9 ans), Joan Roch a donc fait « simple », direction la pointe nord de la Gaspésie, en bus, avec un sac sur le dos, quelques affaires et une paire de sandales. Oui, vous avez bien lu... « Je le sentais comme ça, j’aime bien expérimenter. » Objectif : boucler les 1 135km entre Percé et Montréal en neuf jours. « En longeant le Saint-Laurent. Je suis parti le 4 août 2020 au lever du soleil. » Le quadra raconte sa dernière « folie » avec le détachement d’un maître bouddhiste. Evidemment, l’histoire aurait été trop belle et lisse sans l’insolation des premiers jours et cette fichue douleur. « Dès la fin de la deuxième journée, j’ai eu horriblement mal à la cheville. Mais j’ai couru là-dessus pendant quatre jours. Pendant treize heures par jour, c’était long. » La mort dans l’âme, l’aventurier va consulter et découvre qu’il souffre en réalité d’une infection bactérienne. Des examens complémentaires sont nécessaires, mais la doctoresse lui donne peu d’espoirs pour la suite. Après analyses et radio, on lui indique que des antibiotiques suffiront. « Dans ma tête, la course était finie... » Voilà ce qu’il écrit dans son livre, à la page 204, au sujet de son passage aux urgences : « Si un des autres patients me demande ce que je fais ici, je répondrai : accident de barbecue. Sauf qu’avec mes fringues de yoga en coton bio, fibres écrues et motifs Peace & Love, toute tentative pour me faire passer pour un carnivore serait probablement un échec. » Le faux carnivore préfère en réalité avaler le bitume.

« J’ai trouvé ce qui me rendait heureux »

Sa jambe fait toujours le double de son volume habituel ? Qu’à cela ne tienne, Joan Roch poursuit sans broncher. Avec presque encore 800km à s’enfiler. En solitaire ? Pas tout à fait. « Sur ma route, s’est formée une chaîne humaine de gens qui m’ont hébergé, soigné, nourri, ont lavé mes vêtements. Anne est venue me rejoindre cinq jours avant la fin et a couru quelques centaines de kilomètres avec moi. » Jusqu’à ses retrouvailles émouvantes avec ses trois enfants, sur le Mont-Royal, à Montréal.

L’histoire est belle, racontée avec force détails et immortalisée sur papier glacé. Elle est la métaphore d’une vie inspirante. « Est-ce que ce que je fais est universel ou ai-je des capacités exceptionnelles ? Je ne crois pas. Il y a trois ans, j’aurais été incapable de parcourir ces 1 135km. » Son épopée témoigne par-delà d’une vraie force de caractère, une sorte de revanche de l’esprit sur le corps. « J’ai trouvé ce qui me rendait heureux. Je ne l’ai jamais été autant qu’en choisissant ma voie. Je ressens une forme d’équilibre. »

Ultra-ordinaire 2, odyssée d’un coureur, Les éditions de l’homme - 254 pages - 19,90€.

DR

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