Ciné, truffe
s et autres plaisirs
 minuscules

Mohammed Benaïssa, 62 ans. Son « vrai métier » ? Biologiste expert en champignons. Mais ce réalisateur amateur vient aussi de faire tourner une vingtaine de comédiens du Théâtre populaire pictave dans son troisième long métrage diffusé vendredi à La Hune. Ses films s’intéressent à « ce qui nous rassemblent ».

Romain Mudrak

Le7.info

Le numérique est partout. Dans le domaine de la santé, on parle désormais d’« homme augmenté », de « transhumanisme ». Dans l’air du temps, ce mouvement a le don d’inquiéter Mohammed Benaïssa. Ce Poitevin de 62 ans en a fait un film, Cérébral, projeté vendredi à 20h à La Hune, à Saint-Benoit. Le pitch ? « Grâce à un traitement numérique, un brillant neurologue réussit à soigner sa femme atteinte d’une maladie neurovégétative incurable. Persuadé de pouvoir rivaliser avec la puissance de la vie, il croit ainsi l’avoir guérie. » 
Problème, le praticien va être confronté à des événements qui lui échappent et vont menacer l’ensemble de l’humanité. Et l’éthique dans tout cela ? « Justement, les thérapies géniques, le clonage nous ont fait beaucoup réfléchir. Il faut avoir la même réflexion sur l’avenir du numérique », estime l’auteur.


Le cinéma ? 
Pas un vrai métier

S’il a choisi d’exprimer ses inquiétudes à travers des films, Mohammed Benaïssa n’en est pas pour autant un professionnel du 7e art. Ce n’est pas son vrai métier. Il est d’abord un cinéphile avisé depuis l’âge de 9 ans. « Au Maroc, les parents de mon meilleur ami d’enfance avaient un cinéma. Ils étaient Français. C’était notre terrain de jeu. On ne loupait pas une sortie. Dès que j’ai pu, je suis allé toutes les semaines dans les cinq cinémas de la ville et j’enchaînais les séances. » Il a construit cette passion seul. Ses parents à lui n’avaient aucune affinité avec le milieu. Son père était docker au port de Safi, sa ville natale à l’ouest de Marrakech et au nord d’Essaouira. 
« Après l’indépendance, tous les Français étaient encore là, j’étais très occidentalisé. »


Malgré cette passion dévorante et fort d’un talent certain pour le dessin, Mohammed Benaïssa choisit délibérément, après le lycée, de s’orienter vers… les sciences. « Il n’y avait pas d’école de cinéma au Maroc. Mes profs m’ont bien incité à aller vers les Beaux-Arts, à Casablanca, mais pour moi le cinéma et les arts en général, ce n’était pas un vrai métier. Ça ne pouvait pas me permettre de gagner ma vie. » Résultat, à 20 ans, il débarque à la faculté de biologie de Limoges pour effectuer l’équivalent actuel d’un master. Ensuite, le jeune homme doué pour les études poursuit avec une thèse à Poitiers.


On est en 1986. Il passe une dizaine d’années sous contrat comme enseignant-chercheur à l’Ecole nationale supérieure d’ingénieurs (Ensi) de Poitiers. Peu à peu, Mohammed Benaïssa se spécialise dans la mycologie :
les cèpes, girolles, morilles et surtout la truffe, dont la Vienne est un producteur historique. Problème, la Tuber melanosporum se cultive très mal hors sol. Elle est en grande majorité ramassée dans la nature. Aujourd’hui, il travaille donc pour une entreprise privée qui tente d’améliorer la productivité dans ce secteur, sans pour autant dégrader la réputation de ces
 « produits nobles ».


On sait que certains films peuvent être des navets, mais le lien entre le cinéma et les champignons est moins évident… Parallèlement à sa carrière scientifique, Mohammed Benaïssa continue de fréquenter les ciné-clubs. « C’est là que j’ai appris toutes les techniques, en discutant avec les réalisateurs. »
 Les films américains, russes et asiatiques n’ont plus de secret pour lui, tout comme les œuvres de la Nouvelle Vague française. 
« Je suis un émigré culturel, j’aurais pu travailler au Maroc mais j’aime tellement la culture française. » Il y a dix ans, aussi friand de spectacles vivants, il assiste à une représentation de la troupe du Théâtre populaire pictave (TPP), à Bignoux.


Un homme 
de compromis

« J’ai tout de suite aimé sa façon de jouer, son style dynamique. » Il devient le technicien audiovisuel officiel avant de lui proposer, un beau jour, de la faire tourner dans son premier film, Touche pas à ma Terre, consacré à la préservation de l’environnement, une autre de ses préoccupations. Il raconte l’aventure de villageois mobilisés contre un projet d’enfouissement de déchets radioactifs. « Tout part d’une histoire vraie que m’avait racontée un collègue chercheur. » Une comédie intitulée Un cadavre et treize cinglés figure aussi à sa filmographie « Tarantino a dit qu’il fallait au moins trois films pour se revendiquer réalisateur, pour moi c’est fait ! », plaisante l’intéressé. Le fil rouge de son œuvre ? « C’est l’humanisme, je m’intéresse à ce qui nous rassemble et nous permet d’avancer, à l’universel parce que trop souvent les détails nous séparent les uns des autres », relève celui qui se revendique 
« athée depuis la plus tendre enfance » pour les mêmes raisons. C’est pour cela aussi que les premiers thèmes de la campagne présidentielle n’attirent pas ses faveurs. « Au plus fort du Covid, on parlait tous de solidarité, aujourd’hui on est revenu à nos conflits habituels. » Le repli sur soi, les communautés et le risque d’affrontement, très peu pour lui. Mohammed Benaïssa est un homme de compromis qui émet des hypothèses et propose des solutions à travers ses films. En bon scientifique.

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