Marc Deneyer, de nature discrète

Marc Deneyer. 76 ans. Photographe belge, installé dans la Vienne depuis près de quarante ans. Timide maladif de son propre aveu. N’aime rien tant que se fondre dans le décor pour magnifier la nature de façon picturale. A parcouru le monde. Ecrit aussi, après avoir été guitariste et graphiste.

Arnault Varanne

Le7.info

Depuis le centre de Saint-Julien-l’Ars, il faut s’enfoncer encore près de quatre kilomètres dans la campagne pour découvrir son repaire. Au bout de l’impasse d’un lieu-dit, une maison en bois baignée par le soleil et ouverte sur la nature. En ce mercredi après-midi d’octobre, le soleil donne au cerisier attenant des airs de guirlande vivante. Du vert, du jaune, de l’orange et du rouge, le graphiste de formation apprécie forcément ce nuancier authentique. Marc Deneyer vit ici au calme, avec son épouse. Dans son élément. A sa place. Celle d’un homme « en retrait » parce que discret, préférant
 « disparaître dans la géographie » qu’« entrer dans l’Histoire » pour paraphraser l’écrivain Sylvain Tesson. « Je suis trop timide, c’est invivable, reconnaît-il d’une voix posée. Si je vois un agriculteur à 600m de l’endroit où je suis, je préfère partir... » 


« Transformer les 
sensations en tableaux »

Toute sa vie, le natif de Bruxelles a lutté contre ce « handicap énorme ». De son enfance « heureuse mais modeste », au milieu de ses trois frères et de sa sœur, jusqu’à ses treize années d’enseignement à l’Ecole européenne supérieure de l’image (EESI Poitiers), le photographe s’est toujours accommodé de l’ombre. Remarquez, ça lui a bien réussi. « Au fond, je n’ai jamais eu l’impression de travailler et je n’ai jamais eu envie de faire autre chose. » Le fils d’attaché commercial et de professeure de gym ne se souvient pas avoir rêvé à quelque chose. Ni rêve, ni ambitions. Le minot aimait « courir, jouer ». Un premier indice l’a mis sur la piste de la prise de vue. « A 10-12 ans, j’ai découvert dans le grenier de mes parents un projecteur 35mm transformé en agrandisseur... » Son oncle peintre Louis Van Lint l’a également « profondément marqué » et inspiré. « Il avait cette capacité à transformer ses sensations en tableaux, en taches de couleurs... » 


Marc Deneyer a pourtant pris des chemins de traverse. Deux ans d’études de chimie ici, quatre ans de graphisme à l’école Saint-Luc, une carrière naissante de guitariste au côté de Julos Beaucarne... Les voyages forment la jeunesse et déterminent les goûts. Ce sera donc la photo... et la France, à partir de 1982, fruit d’une rencontre avec une jeune fille native du Poitou. Il se forme, apprend et laisse libre cours à son imagination. « Un ami belge m’avait demandé de suivre la campagne d’un personnage politique. J’ai vite compris que ce n’était pas pour moi ! » La France, la Belgique, le Maroc, l’Italie, le Groenland, le Japon... Il explore à sa manière ces contrées, avec à chaque fois le désir de « chercher au plus profond de lui-même » ce qu’il veut montrer. 


Dans Ilulissat, son carnet de voyage au Groenland, en 1994, l’écrivain-photographe s’exprime ainsi à la page 24 : « Subjugué, envahi par une irrésistible envie d’enregistrer, de retenir, d’aborder le trop plein de ce qu’il m’est donné de découvrir, je photographie tout autour de moi. Trop certainement. Ma manière d’aimer les choses. Comme les Ah !
 ou les Oh ! qui libèrent de trop grandes surprises ! Faire sien un peu de la force et du merveilleux qui passent. C’est en moi que j’aimerais graver tant de beauté et permettre à la lumière d’ouvrir de nouveaux itinéraires. » 


Quand le temps s’arrête

Ainsi pense, vit et réfléchit Marc Deneyer. Toujours en retrait. Fixer le prix d’une œuvre lui donnerait presque des maux de tête. « Heureusement, j’ai une galerie (Hors champ, ndlr) qui fait ça pour moi. » 
Parce que la photographie a constitué son activité professionnelle, il lui a fallu se « vendre ». Auprès de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) au milieu des années 80, pour une mission intitulée Les quatre saisons du territoire de Belfort... Le photographe a posé son regard sur un nombre incalculable d’endroits, au loin comme en proximité. Comme dirait l’autre, l’aventure commence au coin de la rue ! « Les rives de la Gartempe m’inspirent. J’aime beaucoup la poésie de l’eau. » Les pierres du champ d’en face ou les bouquets de fleurs de son épouse sont autant de sources d’inspiration. Toujours avec cette approche figurative, picturale et minimaliste. 


« Patient » et « opiniâtre », le Belge peut rester des heures à attendre la bonne lumière. Au fil des années, il a cultivé un rapport au temps particulier, empreint de sagesse. Un regard ou une sensation peuvent ainsi durer une éternité. « Il y a comme ça des moments entre parenthèses. » Marc Deneyer les apprécie, loin de la foule et du bruit du monde. Là-bas, dans sa maison en bois baignée de lumière et ouverte sur la nature, le temps a suspendu son vol. Lamartine aurait adoré. 


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