Guerre en Ukraine : la communauté slave écartelée

Russes, Ukrainiens, Français et autres Slaves se fréquentent depuis 2015 à Poitiers au sein de l’association culturelle et apolitique Kalinka. Ses membres s’efforcent aujourd’hui de resserrer les liens, malgré des points de vue divergents.

Arnault Varanne

Le7.info

Il a d’abord poliment refusé notre demande d’entretien jeudi -« Personnellement, je ne parle pas de politique »- avant de se raviser samedi soir, par SMS. « Si vous êtes toujours intéressé par notre opinion... » Rendez-vous dimanche à 14h, au domicile d’Aleksey et Natalia Vasilyev. Autour de la table, le couple, fondateur de l’association d’amitié franco-russe Kalinka, et sa fille Anastassia, Irina et son mari Charles, ainsi qu’Alix Louis, une Française russophone et dont la 
« fille » adoptive Helena vit à 50km de Kiev. « Chaque pays a fait un pas pour avoir cette guerre », 
estime Natalia. Elle déplore aussi les sanctions qui frappent son pays. « La Russie, ce n’est pas que son gouvernement, c’est la culture, le sport, la science... » Les larmes aux yeux, Irina goûte peu les propos modérés de sa compatriote : « Je suis Russe, je suis en stress. Ce qui se passe est uniquement de la faute de Poutine qui a peur de la démocratie. Tous ses opposants ont été tués ou sont en prison. Ce conflit a déjà fait plus de 3 000 morts ! »

« Je maintiens le contact, c’est difficile mais nécessaire »

Au centre de la table, entre les deux femmes, Alix Louis sort un petit carton sur lequel est inscrit en français et en russe la mention suivante : « Je suis contre la guerre et je ne me tais pas. » 
La position médiane semble rallier tous les suffrages, même si les émotions restent à fleur de peau. Alix invite ses hôtes à montrer dans la rue leur opposition à ce conflit, si possible « avec les drapeaux russe et ukrainien en main ». Comme beaucoup, la sexagénaire s’inquiète pour la sécurité d’Helena, coincée en Ukraine avec son mari. D’un autre côté, elle entretient depuis 2003 une correspondance régulière avec Ludmila, une femme qui habite Iaroslav, ville jumelée avec Poitiers. Ces derniers temps, les échanges entre les deux amies se sont un peu taris. 
« Elle représente ce que la majorité des Russes pensent. Il faut comprendre que la colère des Russes et de Poutine est dirigée contre l’Occident. Je maintiens le contact, c’est difficile mais nécessaire. »

« Notre petit monde slave est très agréable »

Sur la table des Vasilyev, la tarte aux fraises et les madeleines ne connaissent pas un grand succès. Les convives du jour ont plutôt faim d’échanges francs et directs. Du haut de ses 15 ans, 
Anastassia témoigne à son tour des « messages haineux » 
qu’elle a reçus. « J’ai eu un coup de fil d’un numéro masqué et un SMS disant : « Etant Ukrainienne et toi Russe, j’arrive te bombarder ». 
Moi, je n’ai rien à voir avec ce conflit », soupire la lycéenne franco-russe. Au matin de ce dimanche tourmenté, la randonnée hebdomadaire de Kalinka a été marquée par un joli moment. Une jeune femme russe a longuement étreint Viktoriya Rouet, comme désolée par la tournure des événements. La présidente anglo-ukrainienne de l’association, dont une partie de la famille vit encore dans le Donbass, a apprécié le geste. « Ici, notre petit monde slave est très agréable, on vit bien ensemble. » 
Soirées lecture, marche, apprentissage du français... L’activité de Kalinka est riche de sa diversité culturelle et, surtout, apolitique. Jusque-là. Le 19 mars, tout ce petit monde doit se retrouver pour fêter les sept bougies de Kalinka. « On prépare la fête, mais maintenant ce n’est pas sûr qu’elle ait lieu... » 
La guerre est passée par là. 

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