Francesca Cotogni philosophe de la glisse

Francesca Cotogni. 40 ans. Entraîneur au Stade poitevin club de glace. Italienne de naissance, Française de cœur. Ex-patineuse de bon niveau, diplômée en philosophie. Aspire à réconcilier le sport et la philo dans une démarche initiatique. Signe particulier : un rapport au temps parfois délicat.

Arnault Varanne

Le7.info

Elle reçoit dans « son » bureau du premier étage de la patinoire de Poitiers, en surplomb de la glace. Quelques tenues du Stade poitevin (SPCG) trônent sur les murs. Eclairage tamisé propice aux confessions. Ça tombe bien, Francesca Cotogni se définit volontiers comme 
« bavarde ». Votre serviteur dispose d’une heure pour cerner la personnalité de la jeune Italienne à l’accent délicieux, qui effectue son deuxième passage au club. Et déjà un premier accroc sur « le temps qui passe, pas toujours facile à accepter ». 
La néo-quadragénaire -le 8 février dernier- devrait pourtant « être philosophe », elle qui 
« fréquente » Heidegger, Kant et consorts depuis plus de deux décennies. Mais « l’instant qui s’enfuit, un beau moment achevé ou la peur de l’avenir » semblent plus convaincants que les préceptes des grands esprits des siècles passés.

La Romaine de naissance fige donc les heures, les jours et les années sur le papier, persuadée que « l’écriture est le meilleur antidote ». Du plus loin qu’elle se souvienne, elle a toujours pris la plume pour conjurer ses angoisses. 
« Arrivée par hasard » sur Terre, 
« quatorze-quinze ans » après son frère et ses sœurs, la fille d’ingénieur et de professeure s’est sentie très tôt adulte, comme mue par un besoin d’exister au-delà de sa condition d’enfant presque unique. Au passage, à quoi rêve-t-on quand a 
4 ans, à part « jouer des heures les mains dans la neige » ? A bien travailler à l’école, c’est déjà ça, à faire plaisir à ses parents. Mais encore ? A patiner aussi, pardi ! « Je n’avais jamais vu une patinoire de ma vie et j’ai désigné l’endroit du doigt à ma mère. Moi qui suis dans l’indécision chronique, je n’ai pas hésité pour une fois. J’ai mis les patins et je ne les ai jamais retirés. »

Patinage et dépendance

Aujourd’hui encore, l’entraîneur du Stade poitevin club de glace joint le geste à la parole... malgré quelques douleurs au genou. Mais elle explore aussi les paradoxes de son métier : 
« Est-ce que pousser les enfants à la compétition très tôt est juste sur le plan éthique ? Le sport est prisonnier de contradictions fortes voire violentes. D’un côté, l’idée d’un sport loisir, social, qui fasse du bien à l’esprit, de l’autre cet idéal de l’olympisme, de la performance absolue. Quand cela entraîne la souffrance... » Francesca Cotogni parle d’expérience, elle qui a 
« servi » la Fédération allemande de patinage pendant quatre ans, à Mannheim, pour parfaire la technique des patineuses du pays. « C’était pourtant le nec plus ultra, j’avais un bon poste, un bon salaire, mais j’ai décidé de redescendre de niveau. » Direction la France et Tours, où son compagnon français a obtenu une mutation professionnelle, en octobre 2017.

Les entraîneurs avec son CV ne courent pas les rues. Orléans, Tours et Poitiers l’ont sollicitée, elle a répondu présent. Perfectionniste sur la glace, Francesca a également brillé sur les bancs de l’école. Après un 100/100 au bac, elle opte pour une faculté de philosophie. Et franchit les obstacles de la licence, du master II et du doctorat avec brio. Pour l’anecdote, son premier mémoire est consacré... au temps ; le second à la mémoire. Ou comment la mémoire collective se conserve grâce à la matérialité des œuvres ? Vous avez quatre heures...

Couper le cordon

Le propos semble loin de Poitiers et de cette patinoire qu’elle arpente deux fois par semaine. Mais le fil rouge de sa carrière tient là, à cette quête de sens, de 
« l’utilité » de son existence. Alors tant pis si ses parents ne lui ont « jamais pardonné » de ne pas aller jusqu’au bout de son doctorat. « La déconnexion » d’avec le réel était trop forte. Elle ne regrette rien. « Avec du recul, j’ai bien fait... » D’autant que cette parenthèse renfermée lui a permis de débuter sa carrière de coach, en parallèle de la tournée d’exhibitions avec des stars de la discipline. Une vie d’insouciance retrouvée en somme, avant de quitter Rome pour Turin. « Pour couper le cordon », soupire-t-elle, marquée quand elle avait 13 ans par le décès de son frère et une famille (un peu trop) aimante.

Son profil d’entraîneur-philosophe dénote dans le milieu de la glace. « J’aime ce sport qui m’a fait du mal et je ne veux surtout pas que ce mal soit fait à d’autres enfants. » Ses convictions se sont renforcées avec l’obtention d’un Diplôme universitaire co-construit par l’Unesco et l’université de Nantes. Animer des ateliers philo avec des enfants et des ados, la belle affaire ! 
Francesca Cotogni s’y emploie. « Heureuse » de son propre aveu, en dépit d’une sensibilité et d’une émotivité exacerbées, la Romaine semble aussi d’une lucidité remarquable. Tantôt 
« égocentrique », tantôt « trop généreuse », la jeune femme éclaire ses choix à la lumière des grands penseurs, avec un faible pour Montaigne. Au fond, qu’importe le temps, pourvu qu’il y ait l’ivresse de vivre.

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