Yuko Karamatsu, alchimiste de la terre

Yuko Kuramatsu. 53 ans. Poitevine depuis plus d’un quart de siècle. Née au Japon, la céramiste a été professeure des écoles, professeure tout court, traductrice, avant de s’adonner à son métier-passion. Elle donne rendez-vous ce week-end, place Leclerc, à Poitiers(*). Signe particulier : instinctive.

Arnault Varanne

Le7.info

Elle a passé la semaine dernière à Révélations, la Biennale internationale des métiers d’art et la création, au Grand palais éphémère, à Paris. Mais ce week-end, c’est à domicile que « jouera » Yuko Kuramatsu. A Poitiers, dans sa ville de cœur, celle qu’a préférée à Grenoble à l’heure de quitter son Japon natal pour apprendre le français et, accessoirement, étancher sa soif de curiosité. 
« Ce n’était pas très loin de Paris et à taille humaine », sourit-elle en évoquant ce souvenir d’un autre temps. La céramiste professionnelle, dont l’atelier de Poitiers-Sud jouxte son domicile, a déjà eu mille vies avant d’entamer sa reconversion, en 2016. Un peu à cause, ou plutôt grâce à Dany Souriau, une artiste qui lui a donné le goût d’aller plus loin que les simples cours. « Au départ, j’étais une élève comme les autres, et puis le travail de la matière a révélé quelque chose en moi, vraiment. »

A rebours

De nature « très timide », la native de Fukuoka se soigne à coup de rencontres avec le grand public, les clients, ses pairs aussi. Au fond, cette fille de la classe moyenne japonaise, habituée aux nombreux déménagements paternels, a toujours eu cette fibre artistique. « Depuis toute petite, j’aime les travaux manuels, dessiner, coudre des vêtements de poupée. J’ai dit très tôt à mes parents que je voudrais être professeur des écoles en maternelle pour chanter et dessiner toute la journée ! » Son cursus l’a plutôt poussée vers l’école primaire. La maîtresse « sans doute la plus heureuse du Japon » 
a adoré son passage en classe. Elle utilise alors la première personne du singulier quand l’usage veut qu’un professeur parle de lui à la troisième personne. Yuko travaille aussi en mode projet et participatif, autorise ses élèves à apporter des gâteaux, là encore à rebours de la tradition nippone.

« Je me souviens qu’il fallait faire un discours le premier jour de rentrée. Moi, j’ai refusé. J’étais prête à en subir les conséquences. » Subversive Yuko Karamatsu ? Disons plutôt instinctive. A l’image de ses premiers pas en France, à l’issue de sa licence. Au départ, il s’agissait juste de 
« prendre le TGV à Paris ». Et puis la jeune étudiante et ses deux copines ont arpenté les rues de Paris. « Ça m’a fait quelque chose ! » 
Comme si cet aller aurait un retour, un jour... Ses cinq ans à économiser le moindre sou lui ont rouvert les portes de la France, ce pays qu’elle trouvait « trop chic » 
pour en apprendre la langue, préférant le coréen et le chinois. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont Saint-Cyprien. Et la plus Nipponne des Poitevines -et vice-versa- se sent bien dans sa ville. La rencontre avec « un Monsieur qui travaille dans un café et une dame qui vend des tickets de bus » a tôt fait de la convaincre que sa place était ici. D’abord comme étudiante en japonais langue étrangère, ensuite comme professeure, traductrice et interprète, enfin comme céramiste.

Motivation en berne

De l’origami à la poterie, Yuko adore travailler de ses mains, jouer avec les formes et les dégradés de couleur, a fortiori depuis qu’elle a adopté le nerikomi, une technique de façonnage avec de l’argile colorée. Une révélation, une de plus sur sa route. Et pourtant, comme tout un chacun, elle a vécu une petite traversée du désert avec le Covid. « J’ai eu la chance de pouvoir accéder à mon atelier tout le temps, mais j’avais un peu perdu la motivation. Tout s’est arrêté tellement vite... Et puis j’ai découvert une autre façon de coller les morceaux. Je me suis autorisée à faire des objets aux formes moins conventionnelles, plus destructurées. Ça m’a libérée ! » 
Observatrice attentive de ses contemporains, Yuko Karamatsu jette un regard plein de tendresse sur leurs habitudes. « Vous les Français, vous êtes prêts à aider les autres mais pas de la même manière que les Japonais. Ici, il y a beaucoup de dons, de bénévoles, d’associations. Je suis toujours agréablement surprise quand une personne attend dix secondes pour tenir la porte d’un magasin à celle qui arrive. » Alors Poitiers devrait rester son port d’attache pour encore quelques années, admet celle qui n’a pas eu d’enfant, « sans regret ». Tout juste s’autorise-t-elle à lui faire quelques infidélités avec Paris ou Saint-Quentin-la-Poterie la bien-nommée. C’est dans le Gard et l’amatrice de plantes succulentes en garde un souvenir impérissable.

(*)Elle est l’une des organisatrices de Céramique à Poitiers, aux côtés d’une trentaine d’autres professionnels, qui se tient ce week-end de 10h à 20h place Leclerc.

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