Gaspard Thomas, le groupie du piano

Gaspard Thomas. 26 ans. Poitevin d’origine. Pianiste professionnel. N’en finit plus d’étudier les subtilités de son art au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Auréolé de trois prix lors du concours international Szymanowski de Katowice. Se produira à New York début décembre.

Arnault Varanne

Le7.info

A quoi sert la culture en temps de guerre ? Au fond, quelle est son utilité à l’heure des bombardements à Gaza et en Ukraine, des atrocités en Israël ? La question pourrait tenir lieu de sujet de philosophie au bac. Lui qui l’a décroché avec mention très bien au lycée Victor-Hugo, à Poitiers, répond tout de go : « Les arts du spectacle nous sortent du quotidien. Quand on assiste à un concert ou à un spectacle, le temps est suspendu, le réel sublimé, le contenu dit l’indicible... » Comme ça lui est arrivé à Bastille pour l’opéra Salomé de Richard Strauss ou avec La flûte enchantée de Mozart. Deux spectacles qui l’ont fait « réfléchir sur [m]a propre vie ». Sûr que ce début d’argumentaire aurait valu une excellente note à Gaspard Thomas. Depuis son appartement parisien, qui donne sur le Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMDP), le Poitevin disserte volontiers sur « la nécessité de rapprocher les individus ».

Etudiant un jour...

Fils d’une mère altiste et d’un père pianiste classique et de jazz -amateurs-, le jeune homme de 26 ans a été à (très) bonne école. A l’adolescence, il révèle avoir été « bouleversé par les enregistrements de Schumann par Catherine Collard ». Et voilà comment les sciences -l’astrophysique l’intéressait beaucoup- ont été éclipsées par la musicologie. Du Conservatoire de Poitiers au prestigieux CNSMDP, en passant par Bordeaux et Saint-Maur-des-Fossés, sa ligne d’horizon n’a pas changé. Il ne sortira d’ailleurs officiellement de l’institution qu’en 2026, soit dix ans après son entrée. « J’ai terminé le cursus de piano en cinq ans, mais je me suis lancé dans d’autres masters derrière, les classes d’érudition, d’accompagnement, l’orchestration, etc. » Etudiant un jour, étudiant toujours ! Lui, un jeune prodige ? Il dément l’assertion. « Disons que j’ai besoin de me nourrir, de m’enrichir, comme si j’élargissais mon champ de vision en permanence. »

Sept ans après son premier récital au Festival Chopin, le pianiste s’est illustré lors du concours international Szymanowski, à Katowice. Il est reparti de Pologne avec le 3e prix de la finale et deux prix spéciaux pour l’interprétation des pièces de Szymanowski et d’une pièce contemporaine imposée. Au « lendemain » de cette distinction, le disciple de Claire Désert affiche une modestie de bon aloi. « Ce n’est pas un concours aussi prestigieux que le Reine Elisabeth (Belgique), le Chopin (Varsovie) ou le Tchaïkowski (Russie)... Je ne sens pas les choses changer fondamentalement. » N’empêche, la satisfaction d’avoir « séduit des gens qui n’avaient jamais entendu parler de moi » domine. « Mais c’est d’abord une victoire sur soi-même, je ne me compare pas aux autres. La musique, c’est subjectif. » Et si elle adoucit les mœurs, elle fait aussi voyager les âmes. Après la Pologne, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, la Suisse ou l’Espagne, le jeune homme traversera pour la première fois l’Atlantique en décembre. Direction les Etats-Unis où l’attendent sept jours de concerts non-stop chez des particuliers et des professionnels, avec la complicité d’une collègue japonaise. Il s’en réjouit d’avance comme il se délecte des prochaines dates en février 2024 à Château-Thierry et à la Cité de la musique, à Paris, où il interprétera le concerto n"2 de Chopin.

« Indécis mais de moins en moins »

Poitiers dans son parcours initiatique ? La ville tient une place de choix. « Je m’y suis réfugié pendant le confinement. J’ai la chance d’avoir un piano à demeure... » Gaspard Thomas s’est produit à la chapelle des Feuillants fin 2022 ou encore à Montmorillon en février 2023 à l’invitation d’Eric Sprogis, dans le cadre de Figaro si Figaro Là !. L’occasion de faire « remonter beaucoup de souvenirs et de revoir des têtes connues ». L’éternel étudiant qui se reconnaît volontiers « indécis mais de moins en moins » trace sa route. Sa « passion » devenue son « activité professionnelle » occupe ses jours et ses nuits, dévorante, entière, mais tellement fédératrice. L’émotion d’une note qui émerge d’un Stenway suffit à l’emplir de bonheur. Et dire que certains s’interrogent sur le rôle de la culture en temps de guerre...

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