Le Regard de la semaine est signé Patrice Roy.
Je suis, ce soir-là, heureux d’être convié à ce dîner offert par des amis épicuriens que j’adore. La douzaine de personnes, assises autour de la table ne se connaissent guère, sinon de nom. Manifestement, notre hôtesse s’est pliée en quatre pour cette soirée.
Pour l’apéritif, elle propose un excellent vin blanc et des amuse-gueule. Ma voisine, sur la droite, avertit doucement qu’elle ne boit pas d’alcool, un pichet de jus de fruits attend d’être servi. En face de moi, une conversation s’engage pour savoir si les crackers sont au goût de lardons ou s’ils contiennent du porc, notre hôtesse s’esquive et court vérifier sur la boîte. Les œufs mollets du hors-d’œuvre sont magnifiques, la dame à ma gauche les refuse ! Végétalienne, elle n’en consomme pas, elle prendra plus de tomates. Une discussion démarre sur le Covid, le jeune blond prend la parole et fustige ces vaccins qui tuent. Vu la véhémence, personne n’ose s’aventurer plus loin.
La corbeille de pain circule, la dame âgée la regarde et fait remarquer que tous les pains contiennent du gluten. L’hôtesse va vérifier si les biscottes, dans le placard, en sont dépourvues, sans succès. Notre hôte, grand chasseur, nous présente fièrement son civet de lièvre, même s’il est désolé pour les végétariens. Si l’ouverture du plat soulève un murmure de satisfaction de la plupart des convives, il s’en trouve une pour vitupérer contre la chasse. Notre hôte pique du nez dans son assiette. Notre hôtesse savait l’une de ses invitées végétarienne et avait donc prévu plus de légumes. L’homme grisonnant, sur la droite, toussote et annonce : je ne peux pas manger de lièvre, ma religion me l’interdit ! Au regard d’interrogation, il poursuit. Il rumine mais il n’a pas les sabots fendus. Chacun veille à prendre peu de légumes pour en laisser de larges portions à ceux qui ne goûteront pas au lièvre. Je perçois l’inquiétude, grandissante et le désarroi de la maîtresse de maison et de l’hôte qui lève, discrètement, les yeux au ciel.
La conversation, animée au début, s’étiole. Je ne m'exprime pas, par peur de lancer une polémique. J’appréhende le dessert. Seule ma voisine végétalienne refuse le gâteau. Invité, je me tais, mais je bouillonne. Si les individualités, prises séparément, sont facilement gérables et tolérables, leur « multiplication » en société engendre beaucoup de difficultés. Le rigorisme et l’intransigeance de certains confinent vite à l’intégrisme, à l’intolérance et à l’oubli de l’autre qui doit « faire avec ». Sur le chemin du retour, je revis ces scènes et je conclus qu’il devient difficile de vivre ensemble, tant à l’école, au travail qu’en société. Nous vivons de plus en plus les uns à côté des autres et, tôt ou tard, nous nous retrouverons les uns contre les autres. Et si nous retrouvions davantage de bienveillance et de courtoisie ?
CV express
Après avoir bourlingué à travers le monde avec la marine, puis installé des stations de télécommunications pendant une dizaine d’années, je suis revenu dans ma région natale. J’y ai crée Géo.RM, mon entreprise de services informatiques en cartographie et GPS. Aujourd’hui retraité, je partage mon temps entre la marche, les voyages et l’écriture. Je suis l’auteur d’Atlantique trip, une chronique légère des années 70 avec vue sur mer. D’autres ouvrages sont en préparation.
J'aime : lire les nouvelles du jour, le pot-au-feu, bricoler, marcher sur les chemins de Compostelle.
J'aime pas : les intégristes de tous poils, les aigris, le riz au lait et le nationalisme.