Marie-Najma, chanteuse en cage

Marie-Najma. 36 ans. Chanteuse lyrique. Claveciniste. Spécialiste des musiques anciennes. Seule licenciée aveugle de France en escrime artistique. Poitevine d’adoption. Signe particulier : un chemin de vie sinueux, malgré une farouche volonté de réussir.

Arnault Varanne

Le7.info

La légende raconte que Marie-Najma -étoile en arabe- parlait anglais et hindi en arrivant dans l’Hexagone, à 
2 ans et demi, au moment de son adoption. « Et elle aurait appris le français en une semaine », s’empresse de préciser Ludovic Ressengand, son compagnon. « Son chien-guide en fait ! » Le co-fondateur du jeu de rôle Dragonium, 100% accessible aux non-voyants, est à l’origine de sa venue à Poitiers, en 2018. L’amour a fait le reste... Atypique, Marie-Najma ? 
« Disons que je n’ai jamais voulu suivre le même chemin que les autres. Déjà enfant, je voulais être avec les voyants. » 
L’inclusion avant l’heure, en somme. Dans un « climat familial difficile », la gamine de la banlieue nantaise s’est très tôt tournée vers la musique. Le piano en particulier. Pas pour adoucir les mœurs, plutôt parce qu’au retour de l’église, « je rejouais à l’oreille ce que j’avais entendu ». 


« L’histoire de sa vie »

Plutôt douée, Marie-Najma se serait bien vu pianiste professionnelle. Mais l’expérience a tourné court. « Une prof m’a mis des bâtons dans les roues et je n’ai pas pu intégrer la Classe à horaires aménagés d’un lycée de Nantes. » Les contrariétés de ce genre, c’est « l’histoire de sa vie ». Car même si elle n’a jamais fait de son handicap un obstacle, les autres s’en sont chargés pour elle. Comme ses « camarades » de collège qui s’amusaient à lui cacher ses affaires. Ou comme ces institutions dont les portes se sont refermées devant elle au motif qu’elle ne voit pas. Alors, à 36 ans, 
la néo-Poitevine reconnaît que son cœur balance entre 
« découragement » et « détermination ». Telle une chanteuse en cage, elle compte sur les doigts d’une main les opportunités d’exercer ses talents oratoires dans les musiques anciennes, dont elle apprécie « le style, la légèreté et la difficulté ».
Après quelques mois en faculté de musicologie, Marie-Najma a tenté de s’exporter dans une école spécialisée à Düsseldorf, en Allemagne. Verdict : « On m’a dit que ma voix était brillante mais que j’allais faire perdre du temps aux professeurs et changer les méthodes de travail de l’école. Mais comme ma voix va avec mon handicap... » Mêmes préjugés au concours du Centre de musique baroque de Versailles. La peur, encore et toujours. Pas plus de « réussite » à Cholet, où l’interprète n’obtiendra pas son Diplôme d’études musicales « parce que mon regard était mal placé selon le jury ». Trois ans de travail « fichus en l’air ». Heureusement, Genève l’a accueillie (presque) à bras ouverts. Et l’étudiante a obtenu un bachelor et un master de chant en musiques anciennes à la Haute école de musique de la cité helvète. « Je me suis vraiment donné à fond là-bas. » Elle a fini major de promo, SVP. 


Quatre ans après la fin de sa parenthèse genevoise, Marie-Najma garde des contacts en Suisse, où elle se produit de temps en temps avec un ensemble. Mais en France, sa notoriété reste très, trop confidentielle. Il faut dire qu’elle s’y est définitivement installée en 2020, année du Covid. Quand ça ne veut pas... « Il y a encore beaucoup d’a priori sur le handicap. Les gens pensent que comme je ne les vois pas, je ne vais pas démarrer en même temps que l’orchestre. C’est fatigant de toujours devoir prouver certaines choses. » Participer à un télécrochet pour définitivement se révéler au grand public ? 
« M’inscrire moi-même serait un peu prétentieux », pense l’ancienne admiratrice de Céline Dion. Mais si les autres l’y poussaient... elle ne dirait pas non. 


A fleurets mouchetés

A défaut de chanter, ce « bourreau de travail » joue. Du clavecin. A un niveau professionnel. Elle ferraille, aussi, depuis la rentrée 2023, avec le maître d’armes Francis Rameaux, du Stade poitevin escrime, catégorie artistique. C’est la seule licenciée française non-voyante dans la discipline. Une discipline « découverte pendant une journée sport et handicap lors des Accessifs », 
abonde-t-elle. Marie-Najma s’entraîne une fois par semaine, à terme pour réaliser un spectacle. Ce sera « trop court » pour la Fête médiévale de Chamousseau, à Queaux, les 6 et 7 avril. Ludovic s’investit dans la préparation, Marie-Najma y jouera ce week-end-là les châtelaines et donnera bien évidemment de la voix. Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux...

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