Sofia Moskvina. 38 ans. Poitevine aux origines russe et marocaine. Présidente de l’association Les Coudes serrés depuis 2021. Rescapée d’un parcours chaotique. Bienveillante par nature. Forte et généreuse.
Se serrer les coudes, c’est le credo de Sofia Moskvina. A 38 ans, la présidente des Coudes serrés revient de loin mais peine à réaliser l’atypisme de son parcours. Avec son association à taille humaine, elle aide les plus démunis en leur facilitant l’accès aux produits matériels de première nécessité. Un véritable aboutissement pour la Poitevine, après des années de galères et un engagement précoce dans le bénévolat. Loin d’être un long fleuve tranquille, sa vie débute en Russie où elle est élevée dans une caravane par sa maman puis par son arrière-grand-mère. Son papa, Marocain, est parti pendant la grossesse. Pour gagner sa vie, sa mère vend des œillets. Une activité qui participe à révéler, très tôt, la bienveillance de Sofia. « Je crois que c’était un peu les prémices des Coudes serrés. Je récupérais les œillets qui n’avaient pas été vendus et je les offrais aux personnes âgées », se souvient la trentenaire. A 8 ans, elle rencontre son père lors d’un mariage auquel ils sont conviés et, contre toute attente, ses parents se remettent en couple. Ils décident alors de partir pour la France.
Enfant de la rue
C’est dans la région parisienne, que l’innocence de Sofia s’envole. Le père qu’elle vient de retrouver souffre de pathologies mentales qui mettent la vie de la famille à rude épreuve. « C’est le début des maltraitances. Il était violent, paranoïaque… Ma mère et moi subissions ses humeurs mais j’ai eu un déclic lorsqu’un de ses coups a atteint ma petite sœur, qui avait à peine
1 an à l’époque. » Après plusieurs mois de réflexion, Sofia décide de s’enfuir pour vivre dans la rue. Avec un objectif : attirer l’attention sur sa famille afin que sa petite sœur soit protégée. « Je ne voulais pas qu’elle ait cette vie-là. » Sofia a alors
13 ans. Dehors, elle se libère de cette vie qui l’étouffe. « J’ai des origines tziganes et j’étais déjà une nomade dans l’âme. De façon générale, j’ai une certaine aisance avec l’extérieur », s’amuse la Poitevine, qui préfère d’ailleurs être dans le jardin de la maison de l’association plutôt qu’à l’intérieur.
Après sa fuite, elle est prise en charge par la Ddass(1) mais fugue à de multiples reprises pour retourner dans la rue. Elle y survit grâce à un ami qui lui offre le petit déjeuner du motel dans lequel il travaille avant de basculer vers un véritable enfer. « J’ai été séquestrée et violée pendant trois mois. Par chance, l’appartement se situait à côté de mon internat en Seine-Saint-Denis. Lorsque j’ai pu m’enfuir, j’ai couru vers l’établissement. »
Elle est alors hébergée par la directrice et des copines d’école avant d’être placée en famille d’accueil. « Ça a permis de déclencher un signalement qui a contribué à protéger ma petite sœur. Mon père n’a jamais levé la main sur elle », s’émeut Sofia. Pendant ces trois mois d’horreur, cette dernière a su faire front.
« Garder son calme aide à réfléchir. Quand on panique, on est moins efficace. » A 15 ans,
l’enfant qui a grandi trop vite tombe enceinte d’une petite fille : Yüllah. Cette dernière, aujourd’hui âgée de
22 ans, est d’ailleurs présente, avec son frère Jalil, depuis les débuts des Coudes serrés, pour maquiller les enfants.
Un bénévolat précoce
A 16 ans, Sofia s’installe à Poitiers avec son compagnon. La jeune femme est avide de connaissances et curieuse. Elle aime l’école et y excelle mais sa scolarité est impactée par le manque de stabilité. Accompagnée par les travailleurs sociaux, elle intègre un centre de formation pour adultes où elle passe l’équivalent du brevet et suit un BEP sanitaire et social. C’est là qu’elle devient bénévole comme animatrice de rue à Carré bleu. Et son désir d’aider les autres ne s’arrête pas là. Au sein de la boulangerie Paul, à la gare, où elle travaille, elle brave les interdits en offrant les invendus. Après avoir intégré plusieurs associations, Sofia concrétise sa vocation et décide de créer Les Coudes serrés en 2021. Son slogan ? « On ne peut pas aider tout le monde mais tout le monde peut aider quelqu’un. »
Dotée d’un optimisme à toute épreuve, Sofia Moskvina impressionne ceux qui croisent sa route par sa tolérance et sa capacité à trouver le positif. Les Coudes serrés et ses marchés gratuits rencontrent un franc succès.
« On essaie toujours de s’améliorer. Par les temps actuels, on souhaite juste être ensemble. Et puis il suffit de pas grand-chose. Ce qui a de la valeur à nos yeux n’a pas forcément de prix. Des crêpes chaudes suffisent à nous combler. » Depuis toujours, Sofia croit en la théorie du colibri. « Je pense que la meilleure réponse à l’injustice est l’action. Si chacun pratique la bienveillance, le monde ira beaucoup mieux. J’espère que les Coudes serrés seront copiés. » Prochain objectif : trouver un local pour y installer une boutique gratuite permanente avec un espace dédié à l’entraide.
(1)Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.