On connaissait les talents de scénariste de Simon Moutaïrou. Avec Ni chaînes ni maîtres, il décroche ses galons de réalisateur et signe un premier long-métrage engagé, dans le fond comme dans la forme.
1759. Isle de France. Sur cette terre perdue au milieu de l’océan Indien, actuelle île Maurice, des esclaves cultivent la canne à sucre sous le joug de « blancs de France » qui leur dénient toute humanité. Dans la plantation Larcenet, Massamba et Mati survivent aux ordres et aux coups de fouet en attendant d’improbables jours meilleurs. Lui rêve de voir sa fille affranchie, elle de recouvrer sa liberté. Le jour où elle s’enfuit, avec à ses trousses une implacable chasseuse d’esclaves baptisée la Victoire, son père n’a d’autre choix que de faire de même. Ainsi va l’intrigue de Ni chaînes ni maîtres, aussi mince que le propos est grave et rare dans le cinéma français. En effet, pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Simon Moutaïrou s’attaque à la question de l’esclavage. Rien que ça ! Et il faut avouer que le scénariste de Boîte noire, L’Assaut ou encore Goliath le fait avec une certaine maestria, faisant sienne la cause des « marrons », le nom donné aux esclaves fugueurs.
Ni chaînes ni maîtres interroge l’humanité, les croyances, l’autorité, la liberté, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas... Aux confins du réel -Massamba descend d’une lignée de féticheurs-, le film entraîne le spectateur dans un voyage sensoriel immersif et poétique, porté par la photographie époustouflante d’Antoine Sanier et une bande-son envoûtante signée Amine Bouhafa.
Les oreilles bercées par le wolof et les yeux plongés dans le vert tropical, le spectateur n’a plus qu’à se laisser guider. Ibrahima Mbaye Tchie, de presque tous les plans, est magistral, Anna Thiandoum tout en regards et Camille Cottin remarquable dans son incarnation de la Victoire, un personnage directement inspiré de Michelle-Christine Bulle, célèbre pourvoyeuse d’esclaves dont l’Histoire a gardé trace. Quant à la scène finale, elle vient clore avec délicatesse ce film doux-violent.
Drame, de Simon Moutaïrou, avec Ibrahima Mbaye Tchie, Camille Cottin, Anna Thiandoum (1h38).