samedi 02 novembre
Sébastien Canévet, droit, YouTube et nœud papillon
Catégorie : Face à face Date : mardi 08 octobre 2024Sébastien Canévet. 65 ans. Né à Châtellerault. Maître de conférence en droit privé et youtubeur aux 288 000 abonnés. A appris à vivre avec des douleurs anciennes et des troubles du spectre autistique. Fan de voitures de collection et adepte du nœud papillon.
Maudite béquille ! Si cela ne tenait qu’à lui, il l’égarerait volontiers dans le recoin d’une salle de classe. Mais la douleur est là, lancinante, quotidienne, indocile. Alors Sébastien Canévet conserve par-devers lui cet accessoire importun mais nécessaire depuis « la chute » (deux vertèbres cassées dont une avec déplacement), en 2011, sur le campus niortais. Six ans d’arrêt de travail ont suivi et la menace d’une mise en pré-retraite que le professeur a repoussée avec virulence pour finalement enseigner à l’IUT de Châtellerault, où il glane des moissons de sourires étudiants. Dans son costume deux ou trois pièces, casquette assortie et nœud papillon insolent, le maître de conférences en droit privé ne passe pas inaperçu, à la vie comme à l’écran d’ailleurs. Sa chaîne YoutTube baptisée « Vous avez le droit » compte plus de 288 000 abonnés ! « Quand je suis invité à des conventions, je détonne un peu… Disons que je fais monter la moyenne d’âge des youtubeurs », s’amuse le Châtelleraudais de naissance. « Oui, curieusement je suis Châtelleraudais… J’ai passé une semaine à la maternité du Bon-Secours. » C’était il y a soixante-cinq ans. A l’époque, ses parents habitaient à Nantes, ses grands-parents à Descartes où lui-même s’est installé plus tard.
Sans le bac
Descartes-Châtellerault, le trajet est devenu familier à sa MG MGB de 1974 verte dans laquelle il plie sans rechigner son imposante carcasse de collectionneur- malgré-lui. « Actuellement, j’ai sept ou huit véhicules, dont un vieux taxi anglais blanc (ndlr, il est le co-auteur de Taxis anglais, paru en 2020). Mais ils ne roulent pas tous, confie leur propriétaire avec affection. Je n’ai jamais eu que des voitures de collection, au début parce qu’elles étaient rigolotes, bon marché et qu’elles entraient dans mon budget d’étudiant. » Ensuite… pour le plaisir d’avoir les mains dans le cambouis ! « J’aime comprendre », justifie le professeur qui a commencé par être « un cancre malheureux ». Grand lecteur -devenu « un lecteur fanatique »-, capable de démonter et remonter un réveil « juste pour savoir comment ça fonctionnait » ou d’apprivoiser seul « une Texas Instruments avec 54 programmes », Sébastien a surtout des souvenirs d’échecs de l’école, ce qui explique sans doute « le syndrome de l’imposteur » qu’il traîne depuis des décennies. « J’ai raté le bac, et de très loin ! » Il éclate de rire. « Et le droit, ça t’intéresserait ? », lui a un jour demandé son père. Deux ans plus tard, le lycéen obtenait sa Capacité. « Je n’ai jamais choisi le droit, c’est le droit qui m’a choisi. Moi je voulais être médecin, chirurgien, astronome, archéologue… Mais c’est la première fois que je réussissais quelque chose, et très bien. »
« Je n’ai jamais choisi le droit. »
L’étudiant a poursuivi jusqu’à une thèse mêlant droits pénal et des affaires tout en s’adonnant sans relâche au… piratage informatique ! « C’est l’époque où Internet a commencé à entrer dans la sphère publique. Avec un Minitel, je me suis promené dans les ordinateurs de ministères. Jusqu’à la loi de 1988, ce n’était pas illégal ! », rappelle le facétieux sexagénaire, en se gardant toutefois de révéler ses anciens pseudos. A l’époque déjà, il avait adopté le nœud papillon, « par provocation », parce qu’un enseignant avait imaginé lui imposer la cravate lors d’un examen.
La vidéo en autodidacte
Rapidement les nouvelles technologies sont devenues une véritable passion que Sébastien a confrontée au domaine du droit. On le retrouve ainsi membre du Forum des droits sur Internet à partir de 2002, impliqué dans la création du DESS droit des technologies numériques à Nanterre, co-auteur du Droit des logiciels paru en 2013… En bref, il a creusé le sujet de manière compulsive, comme souvent les personnes présentant des troubles du spectre autistique. Comme lui. « Cela fait partie de ce qu’on appelle les « champs d’intérêt restreints » », explique-t-il simplement. Ainsi, en septembre, lors de ses premières vacances depuis longtemps, est-il allé à Betchley Park, le musée national anglais… de l’informatique ! Quant à sa vocation de youtubeur, « je crois que le facteur déclenchant a été le procès Fillon, en 2017, avant l’annonce de sa condamnation. Tous ces éléments de langage… » Trop d’inexactitudes pour les oreilles d’un spécialiste. « J’ai pris mon vieux téléphone portable -je ne connaissais rien au montage-, j’ai enregistré un premier morceau vidéo et je l’ai posté. Puis un deuxième … Au bout de trois mois, j’avais 500 abonnés. » L’audience de « Vous avez le droit » n’a cessé de croître, avec la complicité féline de Tricottine. A la vie comme face caméra, elle donne la réplique à son maître, « bavard » assumé. Pourtant « je suis quelqu’un de très timide. Mais j’ai appris à le gérer grâce à mon envie de faire comprendre les choses. » La retraite dans deux ans ? « Soit je réserve ma place dans un Ehpad, soit j’entreprends un Tour de France des criminels célèbres. » Suspense… En attendant, le youtubeur sera fin novembre au salon Kamo Play, à Dijon.
Photo : Arnaud Thiry.
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