La littérature nous aide-t-elle à (sur)vivre ?

Le Regard de la semaine est signé Mariannig Hall.

Le7.info

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Tovaangar. C’est le titre énigmatique du dernier roman de la toujours surprenante Céline Minard. Les longues soirées d’été, ses après-midis étouffants invitent à plonger dans des romans fleuves, des livres qui nous dévoilent d’autres mondes. De quoi nourrir notre imaginaire, démarche salvatrice pour affronter une rentrée qui ne chante guère. Les habitants et étudiants de Poitiers avaient eu la chance de la rencontrer en mars dernier lors du festival Bruits de langue, organisé par l’UFR lettres et langues de l’université de Poitiers et accueilli notamment par l’Espace Mendès France.

Au fil de son œuvre, l’autrice invente des langages et se joue des genres. Elle emmène les lecteurs curieux en dehors de leurs sentiers battus. A ceux qui n’apprécient pas la science-fiction, j’écris : laissez-vous surprendre par cette épopée du « monde d’après » ! 
D’après la catastrophe née du délire extractiviste d’une humanité dopée aux hydrocarbures. Celle-ci se crut superpuissante. « Les Extracts étaient un cauchemar. Aucun Corps n’aurait survécu, aucune enveloppe, aucune liaison - s’ils n’avaient pas perdu la guerre. » Ils ont étouffé le sol en le recouvrant de « bétume » ; 
des cohortes pollinisatrices, des floraisons incoercibles, l’ont fissuré. Ils ont nappé les collines de « concrete » et de 
« freeways » ; les lianes les ont fragmentés. Ils ont cru maîtriser le fleuve grâce au « Barraj » ; 
il est désormais sapé par les eaux furieuses. Des Extracts se sont levés aux côtés des autres Corps : Ingénieurs, Agros, Aéros, Archis, Mécas, Electros et Résos. Le salut vient aussi de la résistance de quelques-uns.


Au fil des pages, on vole, nage, glisse dans des grottes, on grimpe. On aime différemment. On s’immerge dans un monde à la fois hautement technologique et profondément animiste, où le vivant est réinventé. On croise des créatures hybrides, qui délibèrent longuement dans un « wowow » 
au cours duquel les êtres vivants négocient de bonne foi et en s’écoutant. On communique avec des arbres par le truchement d’odeurs, du bruissement des feuilles et de la dispersion de grains de pollen. On remonte le fleuve à la faveur du corps musculeux d’une « Troute ». 
On rit, aussi, à la profusion des jeux de mots, ou quand Anaximède le crapaud disserte avec Hernone la héronne sur la philosophie de la digestion. Quel bonheur de s’extraire d’une époque prônant, non sans paradoxe, un matérialisme avide autant qu’une virtualité vide de sens ! Quelle joie d’entrevoir un horizon iridescent !

CV express
Passionnée de culture et de sciences, attachée au partage des connaissances et des questionnements, friande de débats vifs mais respectueux (des autres comme des faits), j’ai traversé différents univers professionnels, jusqu’à la direction de l’Espace Mendès-France. Bretonne d’origine, Parisienne de formation, Poitevine par hasard mais depuis longtemps, Européenne de culture, je me reconnais dans l’hybridation.

J’aime : le lyrisme d’Hugo et l’incandescence de Char, les œufs à la coque et l’os à moëlle, la nuance, penser contre moi-même (et avec les autres), Giotto et James Turell, les coquelicots, nager dans l’océan, Vanessa Wagner et Etienne Daho, la Fondation Maeght en Provence.

J’aime pas : les choux (sauf à la crème), le ressentiment, la servitude volontaire, la mauvaise foi.

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