Plus de 75% des décès par suicide en France concernent des hommes, avec une proportion élevée chez les seniors. Décryptage avec le Dr Jean-Jacques Chavagnat, psychiatre au centre hospitalier Henri-Laborit, à Poitiers.
Les personnes âgées sont surreprésentées dans les morts par suicide. Pour quelles raisons ?
« En réalité, ceux qui se suicident le plus ont entre 45 et 55 ans, soit 40% des morts(*). Mais en pourcentage pour 100 000 habitants, les vieux messieurs de plus de 70 ans sont très représentés, les courbes le montrent. On s’aperçoit qu’ils ont beaucoup de mal à vivre seuls, contrairement aux femmes. La deuxième raison, c’est qu’ils supportent beaucoup moins bien d’être handicapés ou diminués. Une hémiplégie ou une insuffisance respiratoire peuvent les limiter dans leurs mouvements. Cela leur donne une mauvaise image d’eux-mêmes. »
« Les messieurs expriment moins leur mal-être. »
Comment endiguer ce fléau ?
« Il est impératif que la société dans son ensemble porte une attention particulière à ces hommes âgés. Ce n’est pas simple car ceux qui ont toujours eu une activité manuelle, ont vécu dans l’action, se retrouvent parfois sans occupation. Sur un fauteuil toute la journée; ils ne voient plus le sens de la vie. D’où l’importance de la vie sociale, des voisins ou des copains qui passent, de la famille aussi. »
Quels signes doivent
alerter l’entourage ?
« La douleur morale d’une personne âgée est souvent sous-estimée, alors qu’il n’y a pas de raison qu’elle souffre. Quelqu’un qui exprime un mal physique, on lui donne de la morphine. Il faut donc faire quelque chose quand la souffrance s’exprime, même s’il est vrai que les messieurs montrent moins leur mal-être et donc consultent moins les professionnels de santé. C’est important de dire que tout le monde doit se sentir concerné, l’auxiliaire de vie de passage, le facteur, les voisins, les enfants... »
Le meilleur médicament
n’est-il pas le lien social ?
« Si, bien sûr, c’est ce que disait déjà Emile Durkheim (sociologue, ndlr) en 1900. On a tous besoin d’un minimum de liens sociaux, de gens avec lesquels échanger. Et l’idée est aussi de vieillir, certes, mais au maximum en bonne santé. Je connais beaucoup de gens qui se sont investis dans des associations et se sont métamorphosés parce qu’ils se sentent à nouveau utiles. Les personnes âgées ont quelque chose qui manque cruellement dans notre société : du temps, notamment d’écoute auprès des jeunes générations. »
(*)En 2021, près de 8 900 décès par suicide ont été recensés en France. On estime aussi le nombre de tentatives de suicide entre 250 000 et 300 000 par an.
Indispensable 31 14
Le numéro national de prévention du suicide a vu le jour en octobre 2021. A Poitiers, une dizaine de psychologues et d’infirmières se relaient pour répondre aux personnes en demande. « Nous sommes entre 40 et 50 appels par jour avec une grande variété de profils, détaille Bill Mckellar, coordinateur de la plateforme d’écoute de Poitiers. Sans compter les appels que nous émettons vers les professionnels ou les personnes, quelques semaines après un premier échange. » Toutes les souffrances psychiques s’expriment au 31 14, d’où la nécessité pour les équipes de trouver les bons mots pour apaiser les maux, souvent aigus. La plateforme est accessible 7j/7 et 24h/24.