Les visiteurs du musée Gainsbourg, rue de Verneuil, à Paris, vont bientôt découvrir une lettre inédite écrite à ses parents par « Lucien », en pension à Saint-Léonard-de-Noblat, pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle appartient au Poitevin Stéphane Deschamps.
                                    
                                    
                                    Le courrier date du 15 mars 1944, il est adressé par Lucien à « [ses] chers Papa, Maman, Jacqueline et Liliane ». En pleine Seconde Guerre mondiale, la famille juive a trouvé refuge dans le Limousin, l'ado de 15 ans dans un pensionnat de garçons à Saint-Léonard-de-Noblat, ses parents à Saint-Cyr, à quelques encablures de Limoges. Extraits : 
« [...] N’allez pas croire que parce qu’on sait que je suis un faible, je ne suis pas bien ici. Le directeur a fait savoir que s’il y avait allusion aux faibles, il y aurait des conséquences graves pour le moqueur ou l’insulteur... » 
Les faibles sont ici les juifs mais le futur artiste ne semble pas s’inquiéter outre-mesure de son sort. Celui qu’on surnomme 
« le poète » ou « le philosophe » 
conclut sa missive par un « Je vous embrasse en attendant mieux ».
Stéphane Deschamps conserve ce manuscrit unique depuis un quart de siècle. C'est, à sa connaissance, le plus ancien en circulation, antérieur au premier contrat de Serge Gainsbourg à la Sacem, en 1955. Dans quelques jours, cette pièce exceptionnelle, jaunie par les affres du temps, va entrer au musée Gainsbourg, rue de Verneuil, à Paris. « Charlotte (Gainsbourg) l’a authentifiée en reconnaissant les quelques fautes qu’il avait l’habitude de faire et la façon dont il formait la lettre P », détaille le Poitevin, animateur et programmateur sur Radio France depuis 1992, aujourd’hui en poste à Bordeaux. Le biographe de l’artiste a consenti un prêt de deux ans à ce véritable temple à la gloire de l’homme à la tête de chou. Et plus si affinités...
Appel à témoins
Mais comment ce fan de musique, producteur de documentaires sonores et fin connaisseur de l’univers de « Serge » a-t-il réussi à mettre la main sur ce manuscrit ? « Un jour de 1996, Gilles Verlant(*) me fait venir à Paris, il prépare la biographie de Gainsbourg, disparu cinq ans auparavant. Il veut que j’enquête pour retrouver des traces de son passage à Limoges. Je lance alors un appel à témoins sur France Bleu Limousin... » Une auditrice appelle et l’aiguille vers Gabrielle Sansonnet, fille du couple ayant hébergé les Gainsbourg, à Saint-Cyr. Stéphane Deschamps la convainc péniblement d’organiser une rencontre dans son appartement de la banlieue parisienne. « Elle me dit qu’elle n’a rien d’intéressant pour moi, juste le fait que Lucien rentrait le week-end et qu’elle avait fait du vélo quelques fois avec lui... »
« Un truc de dingue »
Il s’apprête à repartir bredouille, jusqu’à ce que la vieille dame lui indique qu’elle a 
« peut-être quelque chose ». Elle revient de sa cuisine avec une boîte à chaussures contenant « des vieux papiers tout jaunis ». « Un truc de dingue !,
 s’enthousiasme le biographe. J’ai appelé Gilles, il était hystérique. Dans ces manuscrits, on retrouve déjà son style. » 
Le Poitevin a récupéré les originaux -des lettres et un journal intime- plus tard. Il a confié une des lettres à Bambou et Lulu (ex-compagne et fils de Gainsbourg), a transmis plusieurs correspondances à la mairie de Saint-Léonard-de-Noblat et conservé celle du 
15 mars 1944. Deschamps connaît par cœur la maison de la rue de Verneuil où il a amené ses « trésors » mi-octobre. 
« Quelque part, j’ai un peu bouclé la boucle de mon histoire avec Gainsbourg ! »
(*)Gainsbourg, par Gilles Verlant, sorti le 15 novembre 2000 chez Albin Michel. Stéphane Deschamps est, lui, l’auteur de Gainsbourg, années héroïques (2015, réédité en 2020).