Hacker 
au grand cœur

Sylvain Hajri. 32 ans. Poitevin d'origine. Chasseur d’escrocs sur la toile. Fondateur d’Epieos, outil d’investigation en ligne utilisé par Interpol. Ancien pompier. Bidouilleur par instinct, sauveur d’humains par vocation.

Pierre Bujeau

Le7.info

Arrestation de groupes terroristes. Démantèlement de réseaux pédocriminels. Difficile d’imaginer qu’en traficotant des jeux vidéo dans sa chambre d’ado à Neuville, Sylvain Hajri allait créer un outil aussi simple que révolutionnaire capable d’identifier n’importe quelle personne à partir de fragments d’informations semés sur la toile. Ce qu’a bâti l’ancien bénévole du stand restauration de la Gamers Assembly, il le doit à une curiosité insatiable et à ce goût du 
« bidouillage » qu’il revendique comme une véritable philosophie. Pour Sylvain, le hacking n’est pas nécessairement une arme. C’est une manière de penser, presque une éthique : 
comprendre un système, le démonter, le détourner pour en révéler le potentiel caché. « Quand j’étais plus jeune, les gens faisaient appel à moi pour réparer leur PC infecté par un virus. Il fallait trouver des solutions, des alternatives. C’était déjà du hack », explique-t-il. Hormis quelques détournements inoffensifs -un accès interdit à Facebook depuis le réseau du collège, une protection de jeu contournée-, Sylvain a toujours mis son savoir au service de la justice. Fidèle à sa maxime : 
« La meilleure défense, c’est l’attaque. » 


Des clics et déclics

Son histoire n’est pourtant pas celle d’un geek obnubilé par les écrans, accro au développement informatique et doté de facilités déconcertantes en mathématiques. C’est celle d’un gamin du Poitou, un peu rêveur, un peu têtu, jeune sapeur-pompier qui préférait prendre le grand air en pédalant à travers champs plutôt que de s’enfermer dans sa chambre. Un enfant façonné par la rigueur et la pudeur d’un père marocain qui lui a transmis la valeur travail. « Mon père voulait qu’on bosse à l’école pour s’intégrer. Pas question de traîner sur les jeux vidéo. Il a connu les galères à cause de son nom, de son origine, puis il a monté son entreprise dans le transport à Neuville, une vraie réussite. Il m’a appris la persévérance pour que je ne traverse pas les mêmes difficultés que lui. » Au collège, un ami lui apprend comment télécharger illégalement un jeu. Une « manip’ » simple, presque banale, mais qui allume l’étincelle. Sylvain découvre alors l’ensemble des possibilités que réserve internet. Il apprend seul, tutoriels après tutoriels, il découvre un langage, une passion. Puis vient la Gamers Assembly. Lycéen à Victor-Hugo, il débarque dans un univers qui ne le quittera plus. « J’étais bénévole au stand restauration. Pendant mes pauses, je voyais tous ces gens jouer, échanger, coder… Je me suis dit : Waouh, c’est ça que je veux faire. » La graine était plantée. L’année suivante, il revient, toujours en coulisses, mais son regard a changé. Il observe les câbles, les connexions, les flux invisibles qui relient les machines entre elles. Il veut comprendre comment ce monde tourne. Il le sait désormais, ce monde est le sien. 


« Notre travail 
a permis 
d’arrêter des pédocriminels. »

Petit, Sylvain se rêvait pompier, historien ou archéologue. C’est finalement cette vocation qui l’a emporté. « J’aimais l’idée de fouiller, de déterrer des vestiges pour comprendre l’histoire. En y réfléchissant, mon métier, c’est un peu ça : je fouille la toile pour retrouver des informations enfouies dans les méandres d’Internet. » Aujourd’hui, il ne réécrit peut-être pas l’Histoire avec un grand H, mais contribue à résoudre celles, bien réelles, de réseaux pédocriminels et de menaces terroristes. En 2019, après plusieurs années dans la sécurité informatique chez Orange, Sylvain se spécialise en OSINT, la collecte d’informations librement accessibles sur le Web. C’est à ce moment-là qu’une idée germe en formant des journalistes d'investigation : « Je suis tombé sur un blog qui expliquait comment identifier les réseaux sociaux d’une personne à partir de son adresse mail. Pour moi, c’était simple. Pour eux, beaucoup moins. Alors j’ai automatisé le processus et créé une interface Web. » De cette idée naît Epieos, son entreprise. Depuis, il y consacre son énergie, peaufinant son outil jour après jour.


La transmission 
au cœur

Sa version privée est désormais utilisée par Interpol et les résultats parlent d’eux-mêmes. 
« Des policiers m’ont envoyé des articles montrant qu’un pédocriminel recherché depuis cinq ans avait été arrêté grâce à notre outil. » Aux côtés d’autres experts, il a aussi permis d’identifier un terroriste. De fil en aiguille, les enquêtes ont conduit à son arrestation. « Quand on met nos forces en commun, de simples bidouilleurs peuvent résoudre des impasses. » Même si son engagement avec les soldats du feu s’est interrompu lors de son master à Maubeuge, à la suite d’actes racistes, l’ancien jeune sapeur-pompier retrouve le goût du collectif et le sentiment de servir le bien commun. « C’est très gratifiant de savoir que le travail permet de prévenir des ingérences étrangères et de mettre hors d’état de nuire des pédocriminels. » Toujours entre deux avions, Sylvain garde les pieds sur terre et revient régulièrement dans la Vienne. Il retourne de temps à autre à Aliénor-d’Aquitaine, où il a suivi un BTS Services informatiques aux organisations. Là, il y partage son parcours et sa conviction : 
« Avec un peu de bidouille, beaucoup de patience et une bonne dose de curiosité, on peut faire avancer la société. »

À lire aussi ...