Entre deux mondes

Nicolas Moreau, 41 ans. Auteur, compositeur, interprète. Ancien membre d’Opa Tsupa. Amateur de blues américain et de chanson française aux textes ciselés. Nostalgique des guinguettes d’autrefois, ce Montmorillonnais aime se produire dans de petites salles champêtres et des endroits où la musique ne va pas.

Romain Mudrak

Le7.info

Dans son dernier clip, Nicolas Moreau a « réquisitionné » la plupart de ses copains d’enfance, à Montmorillon. L’ancien qui joue de l’harmonica sur le quai de la gare, c’est le patron du bistrot où il allait disputer des parties de « baby » après les cours. Le plan suivant a été tourné dans le salon de sa nourrice, aujourd’hui âgée de 90 ans. Les rockeurs sont de vrais rockeurs : les « Rocking Boys ». Et devant l’ex-usine emblématique Ranger, où ses deux parents ont travaillé, des amis et des amis d’amis ont spontanément répondu à son appel pour faire la fête.

« Montmorillon Swing », c’est un mélange subtil entre musique américaine des années 1950 et textes précis en français. Toutes les influences de Nicolas Moreau. « C’est mon côté schizophrène », plaisante le guitariste. Sur la face A, on trouve le blues US transmis par son père. Un style à la Chuck Berry, qu’il distille dans son spectacle Stompin’Joe. Face B, c’est le côté maternel. Plutôt chanson française aux mots choisis, qui transmet des messages à la manière de Boris Vian, Gains- bourg ou Brassens. Cette facette de sa personnalité s’exprime lorsqu’il se produit sous son nom propre, légèrement revu, « Nicolas Moro ».

PASSION DÉVORANTE
La combinaison de ces deux visages donne un personnage complexe, professionnel jusqu’au bout du médiator quand il s’agit de coordonner la logistique pour une centaine de dates chaque année. Un homme de 41 ans, le seul de sa famille à vivre de son art. La passion l’a arraché à une carrière tracée de professeur d’histoire-géo. Une passion à la fois incontournable et parfois « encombrante » qui l’a, jusque-là, dissuadé d’avoir des enfants. Dans sa maison du centre-ville de Poitiers, « grande comme une caravane », il se sent bien. Des guitares sont suspendues sur un pan de mur. Des CD et des livres tapissent les autres. « C’est un cocon. » Il écrit et compose le jour, mais se relève parfois aussi la nuit histoire de noter la bonne phrase. Pour les Poitevins enracinés, Nicolas Moreau a été pendant quinze ans l’un des membres du groupe de jazz manouche Opa Tsupa, au côté de « Fouine », alias Mickaël Talbot, autre natif de Montmorillon. « On s’est connus petits et, plus tard, on s’est mis à jouer ensemble du Django Reinhardt. » Comme ce dernier, Opa Tsupa a adopté la « pompe », ce rythme de gratte régulier si reconnaissable. « On n’était pas nombreux à le faire... Mais Raoul a choisi de s’installer à l’étranger. Les rôles étaient si marqués qu’il valait mieux arrêter (en septembre 2015, ndlr), même si ça marchait bien. Un titre comme Ma Betty Boop à moi a été repris à l’étranger ! C’était un bon moment. Et on a quand même tenu plus longtemps que les Beatles, c’est pas si mal !»

LE CHARME DES GUINGUETTES
Ce grand amateur de guinguettes, « où se croisent des populations très différentes », retrouve certains de ses anciens camarades de jeu plusieurs fois par an. Notamment au sein du Bal Canapelli, qui anime les bords du Clain chaque été.

Aux Zénith et autres Arena, lui pré- fère les petites salles à l’atmosphère intimiste tenues par des passionnés. Des bistrots champêtres comme L’Improbable librairie à Saint-Genest-d’Am- bière ou La Bonne Dame à Champigny, en Indre-et-Loire. Il y a officié en novembre. Tous les jeudis, il interprète également des tubes tels que la Javanaise et les Feuilles mortes, devant des pensionnaires de maisons de retraite. Il est bénévole pour l’association « Un hôpital pour nos aînés ».

Pour lui, les artistes ont aussi un « rôle social » à jouer. Une façon d’ouvrir les esprits : « Je veux amener la musique où il n’y en a pas. J’aime aller à la rencontre des gens comme d’autres l’ont fait pour moi. » Dans les collèges et les lycées, Nicolas Moreau démontre qu’un artiste peut vivre de son art sans passer à la télé. Enfin presque... Lui a trouvé un créneau dans l’illustration sonore de reportages et documentaires. Vous avez peut-être déjà entendu sans le savoir l’une de ses mélodies bluesy dans une récente édition de Cash Investigation.

Comme dirait l’autre, on n’est pas obligé de se prendre au sérieux pour faire les choses sérieusement. Nicolas Moreau applique à loisir l’autodérision. C’est d’ailleurs la force du « Montmorillon swing ». Au-delà de la référence à sa ville de naissance, l’auteur évoque avec humour la difficulté de s’approprier une culture qui n’est pas la sienne. Et quand on habite un coin perdu, de se faire un nom. Lui en possède deux. Une vraie réussite.

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