Ces héroïnes que la grammaire efface

Le Regard de la semaine est signé Solène Valette, qui évoque le rôle des femmes dans la crise sanitaire actuelle et leur quasi-effacement par la grammaire.

Arnault Varanne

Le7.info

Les femmes sont en première ligne, c’est un fait, alors qu’elles représentent l’écrasante majorité du personnel hospitalier, qu’elles sont partout dans nos supermarchés et que ce sont elles qui s’occupent de nos aîné.es comme de nos enfants. Et pourtant, on ne sait plus comment leur dire merci. Je veux dire par là que la grammaire française actuelle voudrait que l’on parle de nos « héros », de nos « infirmiers » ou de nos « caissiers » car les termes seraient « neutres ». Mais le sont-ils vraiment ? On sent depuis le début de la pandémie cette difficulté grandissante, dans les médias ou les messages de soutien que nous adressons à nos « premières lignes » (que l’on soit d’accord ou pas avec ce vocabulaire guerrier), de devoir à la fois remercier les femmes mais de ne pas savoir comment s’y prendre. Moi qui voulais parler d’écriture inclusive depuis longtemps, c’est donc l’occasion.

Il se trouve qu’en évoquant la plupart du temps des « infirmières » ou des « caissières » on applique clairement une logique de majorité, qui pourtant ne devrait pas exister dans la langue française d’aujourd’hui. Selon la fameuse (et de plus en plus problématique) règle qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin » alors pour un seul homme dans un groupe, tout devrait passer au masculin. Cette règle, dont ne démordent pas certain.es défenseurs et défenseuses de la langue, n’a pourtant pas toujours existé. Elle est le fruit de notre histoire et est héritée de nos sociétés patriarcales, malheureusement peu enclines à reconnaître les femmes à leur juste valeur. C’est aussi le cas par exemple de cette difficulté que nous avions (allant jusqu’à l’interdiction par l’Académie Française) d’utiliser le terme « autrice », qui existait pourtant depuis longtemps, tandis que les mots comme « actrice » ou « institutrice » dérangeaient beaucoup moins… parce qu’on accepte mieux que les femmes soient actrices ou institutrices qu’autrices peut-être ? Autre problème, l’utilisation de certains noms de profession essentiellement au féminin comme « infirmières » alors que d’autre le sont essentiellement au masculin. Beaucoup refusent encore de dire « la médecin » quand c’est une femme ! A cause de ces conventions et sans même nous en rendre compte, nous véhiculons l’idée selon laquelle certaines professions sont réservées soit aux hommes soit aux femmes. C’est bien dommage. Au final, ces règles imposant le masculin comme « neutre » ne sont pas anodines. A l’heure où nos rapports hommes-femmes tendent vers de plus en plus d’égalité, n’est-il pas temps également de revoir notre grammaire ?

De cette réflexion, sont nées toutes les propositions d’écriture « inclusive » qui sont de plus en plus utilisées dans le monde et dans toutes les langues. J’essaie moi-même d’y faire attention dans mes chroniques comme vous l’aurez peut-être remarqué, même si je ne suis qu’une débutante en la matière. Pourtant, cela me tient à cœur parce que j’ai l’intime conviction que ce sont ces « petits détails sans importance » qui forgent ensuite nos représentations et les sociétés dans lesquelles nous vivons. Sans cette réflexion sur nos façons d’être ou de parler, depuis nos règles de grammaire jusqu’aux insultes que nous utilisons, il sera difficile de rendre ce monde plus égalitaire. Sachez néanmoins que l’écriture inclusive ce n’est pas « que » le fait d’écrire « les soignant.es » ou « nos ainé.es », mais aussi une histoire de formulation. Par exemple en utilisant l’expression « le personnel soignant » qui est bien plus inclusive ou encore en utilisant le pronom « iels » au pluriel. Il y a en fait mille et une manières de rendre notre façon de parler ou d’écrire plus inclusive et nous n’avons pas encore trouvé toutes les solutions. Nous y travaillons ! Au final, faire l’effort d’y réfléchir et de questionner cette grammaire que l’on prend pour acquise, alors qu’elle est faite pour s’adapter à nos sociétés (c’est là tout le principe d’une langue vivante), c’est déjà à mes yeux un premier pas non négligeable vers plus d’égalité. Dans toute la France les femmes sont les plus exposées mais continuent courageusement à se battre contre le Coronavirus. Souhaitons-nous continuer à les invisibiliser dans nos mots ? Ne pourrions-nous pas saisir cette opportunité pour nous réinventer, nous et notre langue ?

Solène Valette

CV express

Solène Valette. 20 ans. Étudiante en sciences politiques, militante écolo engagée chez Youth For Climate et étudiante relais prévention pour le service de santé universitaire de Poitiers.

J’aime : la sociologie, le scoutisme, les voyages en sac à dos, les manifs, la solidarité, la bienveillance et rencontrer de nouvelles personnes. 

Je n’aime pas : le sexisme, la violence, les inégalités, les multinationales, le greenwashing et le sport.

À lire aussi ...